"Killer Joe, it's me !" - William Friedkin.

Boum, voilà, c’était fait : le nouveau William Friedkin était annoncé. 2012 verra donc le « retour » de plusieurs grands réalisateurs, dont Brian DePalma, et ici William Friedkin.

Depuis Bug, Friedkin a résolument engagé son cinéma vers une autre voie, sans pour autant abandonner les caractéristiques cinématographiques qui l’ont amené à être considéré comme l’un des meilleurs réalisateurs Américain. J’avais moi-même toujours apprécié le cinéma de William Friedkin, mais c’est avec Killer Joe qu’il explose une nouvelle fois. Et à 77 ans. Nom de dieu, quelle patate !

C’est quelque chose d’assez fort que de se prendre une grosse baffe dans la gueule de la part d’un vieux bonhomme de 77 piges. Parce que lorsque l’on ressort de la salle, le premier mot qui nous vient à l’esprit, c’est « maitrise ». Non, bon, c’est pas « maitrise », d’ailleurs, mais c’est « cinglé ». Cinglé, Friedkin l’est depuis longtemps (faut quand même avoir une case en moins pour diriger ses acteurs à coups de pistolet), mais Tracy Letts, l’auteur de la pièce et le scénariste du film l’est tout autant.

Prenons la base par la base : forcément qu’un pitch pareil, c’est énorme. Un complot dans une famille pour assassiner la mère et toucher le fric de l’assurance ? Quoi de plus vil, quoi de plus vénal ? Mais au-delà de l’idée de base, qui aurait finalement être pu être traitée comme une comédie dramatique lambda, c’est le traitement qui fait toute la différence. Le choix du contexte joue déjà énormément. Il est ici question d’une espèce d’Américains qui est devenue presque « mythique » avec le temps : les péquenauds. D’une certaine manière, cela ne m’aurait pas étonné de retrouver certains personnages de Killer Joe dans le Déliverance de John Boorman. Tooouuuut est malsain, moche, mais également jouissif dans l’écriture de ce film. Il n’y a aucune demi-mesure. De toutes façons, quand on fait le choix de travailler avec Friedkin, la demi-mesure n’est pas la bienvenue. Ben putain, on est loin d’en ressortir mécontent.

Lors d’une leçon de cinéma qui était donnée à l’occasion à Deauville, Friedkin disait que Killer Joe avait reçu aux Etats-Unis la censure la plus stricte existante : formellement interdit aux moins de 17 ans, même accompagnés. En même temps, en partant de ce scénario déjà vraiment barré, Friedkin ne nous laisse aucun échappatoire dans sa réalisation. Il s’étonnait de constater que The Girl with the Dragon Tattoo de Fincher écope seulement d’un « PG-13 », alors que le film contenait selon lui des scènes d’une violence comme il l’avait rarement vu au cinéma, que ce soit le viol ou la vengeance (faut quand même y aller pour que Friedkin dise ça d’un film). Mais quand même, soyons honnètes : Killer Joe, en plus d’être vraiment violent sur la forme (j’entends par là les blessures physiques) est quand même mentalement assez violent quoi. Je ne vais pas spoiler outre-mesure, mais ça faisait longtemps que je n’avais pas vu une scène aussi dérangeante au cinéma que celle avec le bout de KFC. En plus j’imaginais le vieux pervers derrière la caméra en train de diriger sa scène... :hap :

Killer Joe est vraiment balèze sur la forme. Rien n’est laissé au hasard, j’ai rarement vu un découpage aussi aiguisé. Friedkin est connu pour avoir une conception du cadre assez légendaire (c’est d’ailleurs ce qui a fait son succès dans l’Exorciste), ici le film ne déroge pas à la règle. Comme toujours, malgré cette nouvelle orientation du cinéma de Friedkin, on retrouvera des caractéristiques de mise en scène qui font sa force, et notamment ces fameux « plans subliminaux » que l’on retrouve dans tous ses films. Pour les curieux, c’est quelque chose qu’il a emprunté à Alain Resnais dans Nuits et Brouillard et également Hiroshima Mon Amour. Depuis, il l’utilise tout le temps, mais avec brio, sans gratuité aucune.

Que serait une bonne réalisation sans bon travail sur la photo ? A nouveau, la qualité est au rendez-vous : tel Baudelaire le faisant sur Paris, ses toits miteux et ses rues douteuses, Killer Joe sublime cet univers de bouseux, et le rend littéralement passionnant à explorer. Qui aurait cru qu’on aurait pu y trouver une telle richesse ?

Je finirai sur l’interprétation des acteurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à la base les personnages sont remarquablement bien écrits. Mais la direction des acteurs de Friedkin, elle, fait toute la différence. Elle rend certains personnages, et certaines scènes mémorables. Je pense que le film marquera un minimum, car ce sont des performances comme on en voit pas souvent, surtout quand elles sont résolument orientées vers du dégueulasse (là où d’habitude ça tend à être juste gratuit ou con).

A Deauville, Friedkin a parlé de Flaubert. Il disait qu’un journaliste lui avait demandé autrefois comment il faisait pour écrire aussi bien sur les femmes, ce sur quoi Flaubert lui avait répondu « Mais Madame Bovary, c’est moi ! ». Friedkin disait donc « Mais Killer Joe, it’s me ! ». Y’a quand même de quoi se poser de sérieuses questions à propos du bonhomme. Quoique... Du moment qu’il nous livre des grands films, on ne va pas se plaindre. Preuve que ce maitre n’a rien perdu de sa maestria depuis French Connection, l’Exorciste ou Le Convoi de la Peur, et qu’il est toujours enclin à apporter des innovations au cinéma comme il le faisait déjà 40 ans auparavant lors de l’avènement du Nouvel Hollywood.

Dans le top 10 de l’année, obligé.
ltschaffer
8
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le 29 oct. 2012

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Lt Schaffer

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