Je crois que Troie m'a traumatisé en fait. Depuis cette purge, je doute toujours sur les fresques épiques américaines contemporaines, toujours la crainte de voir le ricain toucher à une histoire qui ne le concerne pas et qu'il va détourner à ses fins. Même quand c'est Scott qui s'y colle. Pourtant, cette version longue de Kingdom of Heaven a, tout compte fait, trompé mes appréhensions. Déjà parce que visuellement, c'est que du bonheur. C'était l'époque bénie où Scott n'avait pas besoin de numérique pour retranscrire à l'écran du spectacle gargantuesque, ici c'est des centaines de figurants qui sont devant la caméra, dans de magnifiques plans panoramiques, façon Sergei Bondartchuk.
Avec son perfectionnisme et sa mise en scène pointilleuse, Ridley Scott se révèle un somptueux faiseur de grandes images : les décors sont impressionnants, les scènes de bataille à cheval époustouflantes, et la photographie du film est sublime.
Dans le fond, on ne peut être que moins convaincu, évidemment, même s'il faut saluer plusieurs choses. Déjà, et contrairement à beaucoup d'oeuvres du genre, Ridley Scott modifie l'histoire sur plusieurs détails sans la massacrer pour autant : les grands événements de la seconde croisade se reflètent dans ce Kingdom of Heaven, la décapitation par Saladin de Renaud de Châtillon, la défense de Jérusalem, la reddition des croisés ...etc. La grande force du film, c'est sa perception globale du conflit, qui évite le manichéisme sans idéaliser, façon hagiographie chahinienne, l'un ou l'autre camp. Le personnage de Saladin fait figure d'exemple, l'on est devant un homme droit et intègre mais aussi et surtout un chef de guerre impitoyable et un stratège hors-pair, dimension qu'écartait complètement Youssef Chahine dans son Saladin de 1963. Certes, en bon cinéaste hollywoodien, Scott ne se prive pas non plus de certaines libertés quant à la fidélité historique, des facilités qu'on lui pardonne plus (pour certaines) ou moins (pour d'autres). Il y en a qui passent clairement pour des facilités, la partie de Sybille et la romance qui s'ensuit est trop convenue, manque de relief, et entretient la confusion sur les véritables enjeux du film : Ridley Scott veut-il taper dans la petite ou dans la grande histoire ? Dans tous les cas, la substance n'est pas là.
De l'autre côté, si Scott refuse une vision manichéenne des deux belligérants, l'écriture des protagonistes, individuellement, n'est pas toujours au rendez-vous et l'on cerne trop vite leur psychologie. Lusignan et Châtillon passent ainsi littéralement pour de pauvres petites merdes renégates qui commettent au nom du Christ les pires exactions. Ridley Scott n'est malheureusement pas aidé, et il répétera l'erreur dans Exodus, par des dialogues pseudo-solennels très pompeux et didactiques, preuve malheureuse que le cinéaste est bien meilleur metteur en scène que scénariste. La subtilité d'un David Lean, par exemple (je pense beaucoup à un Docteur Jivago) fait ici défaut.
Mais, bon, tant pis, on peut pardonner tant l'expérience est dense, et généreuse. Et puis, les croisades, c'est passionnant.