oct 2012:

Wouah! Ce qui frappe avant tout, c'est la qualité de la mise en scène de William A. Wellman. Le premier plan-séquence du film met la barre très haut.

Celui qui permet de la maintenir à cette hauteur est peut-être James Cagney qui procède à une interprétation surprenante, mêlant à la modernité de son personnage une part de folie plutôt effrayante. Physiquement, il a une carrure plutôt petite mais râblée, très tassée, costaude, boule-dogue dont le faciès hargneux rappelle à chaque instant qu'il est prêt à vous sauter à la gorge, une petite bombe sur patte prêt d'exploser à la moindre contrariété.

Ce mal social manifeste ne pouvait être figuré comme un héros. A Hollywood en ce temps-là, il était impossible de magnifier un tel personnage, pétri de violence, cupide et tout tourné vers le crime.

Néanmoins, le scénario ne fait pas sortir Tom Powers (James Cagney) de sa boite tel un fou à ressort. Dans une de ces scènes qu'on peut juger fondamentales, pour ne pas dire fondatrices, Wellman exécute un travail de mise en scène assez bluffant de maitrise par lequel il introduit, si ce n'est une excuse, au moins une explication à la violence et au rejet qu'incarne Tom : on y voit une correction sans parole qu'il reçoit de son père quand il est gamin. Froid et déterminé, le père inflige une série de coups de ceinture à un enfant qui n'en est pas à sa première et peut se permettre d'afficher une morgue révélatrice de la graine semée, celle de l'ennemi public en devenir. Dès le départ, la rupture est consommée. Ces premières scènes ont le net avantage de nous montrer la construction d'un caïd en le présentant, non pas comme un monstre apparu ex-nihilo, mais comme un être humain, le fruit d'une histoire.

Mais l'humanité du voyou s'arrête là. Afin d'échapper à la critique d'amoralisme vite établie à cette époque, le scénario va marteler un propos édifiant avec plus ou moins de subtilité d'ailleurs : "bien mal acquis ne profite jamais". En effet, se forme de plus en plus nette la dichotomie du bien et du mal avec l'affrontement de Tom avec son frère Mike (Donald Cook) sous les yeux de la mère, vieille, pure et toute bouffie de cette bonté un peu naïve qui date un peu. L'opposition ne va pas jusqu'au fratricide, car dans un dernier élan un peu absurde Tom rejoint le bon côté de la force, recouvre une moralité saine en quelque sorte.

Mais le prix à payer pour avoir été un si mauvais garçon lui coûte bien plus cher qu'une simple visite à l'hosto pour quelques bastos dans le bide. Du coup, le Tom enfant du début du film retrouve sa position victimaire : boucle moralement bouclée mais douteuse que les thuriféraires du code Hays n'ont sans doute pas saisie. Ironique que le pardon ne soit pas de mise : dès lors, à quoi bon revenir en arrière et s'amender quand on a mis le pied dans la fourmilière du vice?

Le film est très ambigu à bien des égards... voluptueusement ambigu. Il en ressort effectivement un charme soufré, un délicieux parfum d'interdit qui n'est pas sans humour non plus, noir comme il se doit. L'on sent que la production s'amuse avec ce personnage, cette trajectoire funambule, sur le fil du rasoir.

Et comme cette intelligence transparait également dans la manière qu'a Wellman de filmer son histoire, hé bien, vous n'êtes pas à l'abri de passer un très bon moment de cinoche, mes amis!
Alligator
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le 20 avr. 2013

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Alligator

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