L'Étrange Pouvoir de Norman
6.7
L'Étrange Pouvoir de Norman

Long-métrage d'animation de Chris Butler et Sam Fell (2012)

Nouvelle martingale hollywoodienne, les 80′s sont servies à toutes les sauces, un peu comme les 70′s juste avant elles… Impossible d’y échapper, elles sont partout, entre reboots, sequelles, prequelles, copies carbones de concept ou exhumation de vieux musculeux stéroïdés. Pour le meilleur et pour le pire. Souvent pour le pire. Car, si les studios ont bien compris qu’il y avait une jolie manne de billets verts à se faire sur ce sentiment nostalgique, ils n’ont visiblement pas encore pigé qu’une allégeance claironnée sur un dossier de presse ne fait pas un bon film. C’est tout con, mais il est toujours bon de le rappeler, surtout en ces temps d’engouement surréaliste du public « geek » devant la moindre caresse dans le sens du poil. Non, si salut il y a, il est plutôt à chercher du côté des « gamins » qui peu à peu prennent les clefs de l’industrie, enfants/adolescents de la dite décennie à l’oesophage ravagé par le tang orange et à jamais traumatisé par la pop de Michael, les shorts moulants fluos de George et les blockbusters de tonton Spielberg, Zemeckis et consorts. Du cinoche populaire qui ne prenait pas le spectateur pour un jambon. Un autre époque ma bonne dame. J’te parle d’un temps…
Pour autant, la nouvelle école ne s’en casse pas moins les crocs sur la hype 80′s (enfin d’un point de vue artistique hein, on s’entend…). Pour un Drive ou un Rare Exports (voire un Real Steel), combien de Super 8, Paul, Attack the Block, on en passe et toute une clique de trucs à peine fréquentable. Le spectateur n’est pas dupe. Enfin si souvent, mais toi lecteur/lectrice, non, tu as des yeux. 2. Enfin normalement. Bref, comme dirait mami, suffit pas d’avoir les ingrédients pour faire une bonne tambouille mon con ! Tout est une question de toucher (…), d’harmonie. Avec pour ambition de marier les saveurs (Fog et Breakfast Club), les cuistos Sam Fell et Chris Butler (le duo de réals) se font-ils avoir par la cuisson ? En d’autres mots, L’étrange pouvoir de Norman sent-il déjà le réchauffé ?

I see dead people

S’il se pare des oripeaux de la décade de Monsieur Drummond, L’Etrange Pouvoir de Norman (ParaNorman en amerloque, ouais, non, avec les distrib, faut pas chercher des fois…) n’en oublie jamais pour autant son récit en cours de route au profit d’un fétichisme nostalgique mal placé, vieille madeleine proustienne rassie qui voudrait que le cinoche « c’était mieux avant ». Oui, ParaNorman est chargé de clins d’oeil, visuels ou sonores, pour qui connaît ses classiques (Halloween, Evil Dead, Frankenstein, etc.) et tape immédiatement dans le old school estampillé Amblin (le groupe de kids s’essayant à contrecarrer une invasion de zomblards) ou Tim Burton première époque (le folklore délicieusement macabre). Mais, loin de l’hommage référentiel ampoulé qui ne causerait qu’aux initiés, exaltation d’une imagerie morte et enterrée y’a plus de 20 piges baignant dans le formol, l’effort de Feel & Butler est avant tout un excellent film d’un point de vue narratif, doublé d’une sacrée prouesse technique. Entièrement dénué de cynisme, ParaNorman pose un regard plein de tendresse et de sincérité sur les années Reagan. La première et la dernière scène du film illustrent à merveille cette volonté de ne jamais prendre de haut le(s) genre(s). Ainsi, Butler (qui cumule donc les casquettes de scénariste et réalisateur pour ceux du fond qui ne suivent pas) ouvre son premier long-métrage par un film – un bon zombie movie à tendance Z – dans le film, mises en abyme qui s’amusent bien sûr des poncifs de l’époque (perche son dans le cadre, etc.), toujours avec déférence (l’OST de Brion aux accents « Carpenterien » comme pour prouver que oui on déconne mais THIS IS SERIOUS SHIT), mais surtout revêtent une importance capitale à l’aune du récit. La première introduit son personnage principal, le définit, enfant seul et solitaire vouant une passion aux vieilles péloches horrifiques et pouvant causer avec les morts. La seconde verra Norman enfin trouver sa place parmi les siens, et les siens enfin accepter la mort (aussi douloureuse qu’elle soit) comme indissociable de la vie. Car oui, sous ses atours de film pour chiards calibré tout propre sur lui (voir l’affiche Hanna-Barbera like), se cache une subtile réflexion sur le deuil, la perte d’un proche et l’acceptation par l’enfant de sa condition mortelle. Ouais, on est très loin du manichéisme et de la simplicité désormais de rigueur dans la quasi totalité de la prod animée.

Dead like them

Ode au freaks (de celles si chères à Tim avant son coma artistique), ParaNorman fait valser les genres (fantastique, horreur, drame comédie) avec une facilité déconcertante, envoie valdinguer les clichetons (ici les bouffeurs de cervelet se font plomber le derche par une populace cintrée, ou cherchent à aider le héros pour expier leur faute) et propulse sur grand écran un bad guy tour à tour terrorisant, troublant et désarmant de faiblesse et d’humanité dans un final à la fois spectaculaire et intimiste (quel climax, mes aïeux !), sublimé par la photo de Tristan Oliver (artiste aussi rare que talentueux qui compte à son actif Fantastic Mr Fox ou Wallace et Gromit le mystère du Lapin Garou). Au-delà d’une ambition narrative un peu folle dans ce type d’entreprise, Laïka, petit repère d’animateurs et d’artistes rôdés à la stop-motion (la plupart sont des transfuges du Wes Anderson cité plus haut, ou des Noces Funèbres, qui, certes, refoulait fort du fion thématiquement mais d’un point de vue animation ça envoyait quand même du bois les copains), perdu dans le trou du cul de l’Oregon – et déjà à l’oeuvre sur le renversant Coraline de Selick – de confirmer son savoir-faire technique. Visuellement époustouflant (la DA est à s’en mordre une), d’une fluidité frapadingue (pour la petite anecdote de techos, 2 Canon 5D Mark II ont été préférés à l’appareillage traditionnel de cam 3D), ParaNorman multiplie les travellings, transtrav et plans séquences comme pour s’accomplir dans le mouvement.

Visuellement éblouissant, mélancolique, le film de Sam Fell et Chris Butler trimbale son spleen (le theme composé par Jon Brion n’y est pas étranger), 1h30 durant, entre rires et larmes, joies et peines, frissons et angoisses. Oubliez les justiciers en cuir et spontex ou les sexagénaires sous infiltrations se traînant tant bien que mal dans un simulacre d’actionner, le film de l’été est juste là, sous vos yeux, au détour d’un multiplexe. Enfin, on l’espère, car cette petite prod (entre 60 et 80 millions tout de même) s’est d’ores et déjà ramassée au box-office, n’engrangeant qu’une quarantaine de millions de biftons. Aussi, s’il est toujours en salles près de chez vous, emmenez votre fille, votre fils, neveu, ou nièce, kidnappez votre petite voisine s’il le faut, et allongez les ronds nom de Dieu (heu…) ! Parce qu’un slapstick avec un gamin et un cadavre, faut pas rêver, c’est pas demain la veille qu’on reverra ça dans un cinoche.
*chronique rédigée lors de la sortie en salles
larchiviste
8
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le 21 mars 2013

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