La dérive métaphorique...
Tout d’abord, il convient de relever que la vision de la nature dans ce film est pertinente. Le film s’en émerveille régulièrement (en filmant de belles images, comme le magnifique ballet aquatique fluorescent ou la vie des profondeurs), mais il ne perd jamais de vue que c’est une force aveugle, aussi fascinante que destructrice. Il y a ce discours avec les tempêtes qui jalonnent le film, avec l’île carnivore, avec le tigre, personnage central du film et sur lequel nous allons revenir. Le film se révèle également inattendu en s’aventurant sur le terrain de la religion, décrivant l’initiation de Pi à l’Hindouisme, au catholicisme et à l’Islam. L’occasion de planter davantage l’image du père comme celle d’une autorité inébranlable qui fonde rationnellement son raisonnement sur la logique et se révèle imperméable devant les choix de son fils. Il faut également relever cette inattendue conception d’une foi multi-religieuse, bourrée de contradiction et finalement si ouverte au dialogue, si prompte à s’enthousiasmer… Pour un film qui a pour ambition de donner un ressenti d’expérience, une vision sur le monde, ces deux points relèvent déjà du bon. Mais le film commence essentiellement une fois que le naufrage a eu lieu. Véritable moment catastrophe, déchirant pour la perte familiale, c’est un contact frontal avec la nature et le début d’une survie acharnée. En effet, les quelques animaux sauvés par Pi ont bientôt faim, et s’entre dévorent sans que Pi puisse intervenir en rien, puis le personnage du tigre entre enfin en jeu et commence alors la survie à proprement parler. Laissant de canot à l’animal, il se fabrique un radeau et tente de garder en vie ce dernier, carnivore. Pi étant végétarien, il se contente au début des rations de survie, et pêche pour nourrir le fauve. Beaucoup de mal pour peu de chose, mais il y a cette lueur dans le regard de l’animal, il y a effectivement quelque chose de plus que le simple reflet des émotions décrits par le père. Evitant l’écueil de la naïveté béate en n’atténuant jamais la souffrance de ses protagonistes, L’odyssée de Pi ravit les yeux et suscite l’émotion sobrement, sans se sacrifier sur l’autel du grand public. Sa conclusion est d’ailleurs à cette image, où devant l’incrédulité de son auditoire à l’époque des faits, Pi avait une seconde histoire sur son naufrage, à savoir la survie sur le canot entre plusieurs survivants, avec cannibalisme et meurtres sauvages. Tout est raconté, rien n’est montré, mais l’authenticité est là, ainsi que la puissance émotionnelle. Laquelle de ces histoires est la meilleure dans ce cas ? L’odyssée de Pi préfère donc aborder son expérience sous un angle métaphorique, préférant officiellement la beauté au sens ou à l’explication rationnelle, et se gardant bien de prétendre donner une leçon, assumant son statut de beau film avec un certain panache (les effets spéciaux sont magnifiques). Une excellente surprise.