Esthétique renversante, musique féerique et mise en scène impressionnante : Christophe Gans déploie un arsenal de merveilles et remporte le pari fou d’une énième adaptation de La Belle et la Bête.

Il y avait pourtant de quoi s’inquiéter. Huit ans après un Silent Hill à l’ambiance travaillée mais globalement décevant, le réalisateur s’attaque à un récit qui a déjà bénéficié de superbes adaptations cinématographiques, celles de Jean Cocteau et des Studios Disney en tête. Difficile d’enchanter toute une génération de spectateurs ayant grandi au son d’une Histoire éternelle, les yeux ravis par le chef-d’oeuvre d’animation qui se permettait plus d’une liberté avec le conte original de Madame de Villeneuve. Refusant de créer un remake de l’un ou de l’autre, Gans s’applique à façonner une neuvième adaptation cinématographique en demeurant non seulement au plus près du récit original, mais décide également de l’enrichir, comme s’il explorait des portions de l’histoire inconnues jusqu’à lors.

Sans plagier, il se laisse influencer par de multiples sources. Le film, alternant deux époques différentes, assume sa double nationalité franco-allemande tout en offrant les univers de la France au Premier Empire ou en pleine Renaissance. Les ayatollahs de Cocteau y retrouveront une trame semblable – le conte reste, après tout, le même – tandis que les enfants nourris de Disney s’amuseront de quelques clins d’œil comme le potager de Belle fourni d’innombrables citrouilles. Les éléments propres au conte de fées ne s’arrêtent pas là et constituent un pilier artistique de La Belle et la Bête : richesse des décors, robes somptueuses, splendeur d’un château artistiquement délabré, dédale de vieilles pierres où s’entrelacent les rosiers, luxuriance des jardins qui n’ont rien à envier à ceux, légendaires et suspendus, de la cité babylonienne. Chaque plan est un bijou d’esthétisme, grâce aux talents combinés d’un chef décorateur (Thierry Flamand) inspiré notamment par la Chapelle Rosslyn en Ecosse, et un directeur de la photographie (Christophe Beaucarne) qui s’illustrait déjà en participant à L’écume des jours de Michel Gondry. La narration elle-même, sous forme de lecture d’un livre de contes, et accompagnée par les accords féeriques du compositeur Pierre Adenot, enchante dès les premières secondes cette part d’enfance qui ne nous a jamais quittés.

Christophe Gans ne dissimule pas son admiration pour Hayao Miyazaki, dont les thématiques favorites hantent une partie de son film, notamment sous l’apparence d’un Dieu de la forêt vengeur et d’une certaine morale en faveur du respect de la nature, un aspect complètement nouveau qui pourtant s’intègre sans problème à l’histoire. Assistée de références mythologiques grecques fortes, cette inspiration donne un nouveau souffle presque oriental à ce qui aurait pu être un film redondant et lui confère une personnalité propre. Non content d’ajouter certains éléments typiquement présents dans les contes de fées comme une fontaine magique, Gans va plus loin et parvient à créer un conte dans le conte, une prise de risque qui paie et permet d’explorer l’univers de la Bête et ce qui l’a menée à son destin tragique.

On revient donc à une configuration de personnages caractéristique de ces récits : un vieux père plein d’empathie, trois sœurs dont la benjamine se distingue par sa bonté, et trois frères dont un aîné belliqueux, un cadet rêveur, le plus jeune s’avérant doux et sensible. Ajoutant à cela une poignée de brigands et la cour dont s’entourait jadis le Prince, La Belle et la Bête parvient cependant à rendre chacun de ces personnages unique, sans nous perdre. Vincent Cassel, “le seul en France capable de jouer à la fois un prince décadent et une bête” d’après Gans, parvient même à insuffler à la Bête une sensualité qui teintera ses interactions avec la Belle de tensions presque érotiques. Découverte par le spectateur à travers les yeux de la Belle, la créature réalisée en images de synthèse est une vraie réussite. Léa Seydoux, un choix de casting qui paraissait plus hasardeux, se fond complètement dans le rôle et parvient à nous faire oublier que pour la majorité d’entre nous, une Belle est forcément brune, délicate et avare de paroles. Les deux sœurs aigries apportent une touche d’humour, et André Dussollier, douce figure paternelle, suscite notre affection, tandis que même un couple de brigands inconnu au bataillon jusqu’à lors est rendu charismatique.

Le secret de ce dernier mystère ? L’amour, présenté en remède à tous les maux, épargnant aussi le Prince de la mort avant sa transformation en Bête, et qui réside même dans le cœur des scélérats, comme une issue au mal qui ronge les mauvais personnages de l’histoire si ceux-ci se décidaient à écouter leurs sentiments. L’amour, qui distingue La Belle et la Bête de Christophe Gans de la fable à laquelle il s’attache autrement si fidèlement, qui parlait, si on l’analyse, de bonté de cœur comme remède à un mariage entre une très jeune demoiselle et un homme déjà âgé. La quarantaine avancée de Vincent Cassel répond à ce message initial face à une Léa Seydoux de vingt ans sa cadette, mais l’amour vient balayer ces considérations d’un ouragan de romantisme fort bienvenu.

Christophe Gans parvient à s’affranchir des univers ayant précédé sa version de La Belle et la Bête tout en respectant leur héritage, et propose une adaptation aussi splendide que bouleversante. On attend de pied ferme Guillermo del Toro qui, épaulé d’Emma Watson en Belle, s’attelle à son tour à ce challenge qui pourrait bien être tout aussi prometteur.
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le 9 févr. 2014

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