La Cabane dans les bois est une très agréable surprise --pas étonnant quand Joss Whedon et Drew Goddard sont aux commandes--, qui se révèle ambitieuse en sortant complètement des sentiers battus de ce genre de productions. En fan de Buffy et en pleine découverte de Dollhouse, je vois certains rapports entre ces trois œuvres, qui partagent certains points communs dans leur thématique : plus qu'un film d'horreur lambda sur une bande de jeunes dont le weekend en forêt tourne mal, façon Evil Dead, La Cabane dans les bois me semble être d'avantage un film sur la Création (individuelle et religieuse), un délire gore et léger, mais pertinent. Les locaux de l'entreprise du film rappellent ceux de l'Initiative de la saison 4 de Buffy, avec ses démons en cage et ses scientifiques blousés et abusifs, dont la création ultime était prénommée Adam (en référence au premier homme de la Bible). Et comme dans Dollhouse (de Whedon, toujours), il est ici question de libre arbitre et de réinvention de l'environnement des acteurs/personnages pour les tromper.

Avant d'être un film d'horreur, La Cabane dans les bois est un film hommage-parodique à la réflexion méta, qui propose une mise en abîme intéressante, comme Scream avant lui. Le bestiaire monstrueux dévoilé à la fin en témoigne bien, dans un melting-pot sanglant de tout ce qu'on a pu rencontrer dans le cinéma horrifique. Ici, l'on va assister à une véritable construction puis déconstruction d'un film d'horreur, de manière littérale : un groupe de jeunes est choisi, sans être mis au courant, pour incarner les héros, c'est-à-dire victimes, d'une mise en scène totale. Ce qui semble pour eux être leur existence se révèle être en fait orchestré par tout un organisme marionnettiste travaillant sous les ordres d'anciens Dieux à qui notre bande sert de sacrifice. Alors que les personnages pensent être libres d'agir comme bon leur semble, ils sont à la mercis de phéromones dégagés dans l'air, sur lesquelles ils n'ont aucune emprise. De même, quand ils pensent pouvoir s'en sortir, ils doivent se résoudre à admettre qu'ils sont dans une impasse : quand une bête tombe, une autre se relève, et la mort se joue d'eux, façon Destination Finale.

Ce qu'ils vivent est la concrétisation d'une certaine idée du cinéma : le film est la vie, et vice-versa. Ils ont beaux essayer de se débattre, de fuir ou de trouver des solutions, ils ne sont que des pions dans la grande pièce de théâtre qu'est leur existence. Ils sont comme des figures dont la vie se situe entre les mains d'une entité supérieure. Leur existence est une illusion : le film tire très certainement son inspiration de The Truman Show, avec son équipe technique, les caméras installées dans tous les coins, et son périmètre délimité. Sauf qu'ici, il semblerait que l'existence du monde entier, et non-plus d'un seul et même individu, soit un mensonge. Chacun est potentiellement susceptible d'être une victime à son tour. Mais alors, si ce n'est pas le monde qui observe, qui observe le monde ?

Je pense qu'on peut faire l'analogie avec Dieu --symbolisé dans la dernière séquence par une main géante s'apprêtant à tout écraser-- : c'est la main qui manie l'histoire, qui a de l'emprise sur un univers qu'elle a créé, et qui tire les ficelles (d'en bas, cette fois-ci). On s'est probablement tous un jour demandé si on n'était pas nous aussi dirigés contre notre gré, et si notre vie n'était pas entièrement manigancée (comment ça je suis parano ?). Ici, c'est réellement le cas. Les techniciens travaillent au service de ce Dieu à la mythologie brièvement évoquée, et observent tout depuis leur poste de contrôle des opérations. Ils sont à la fois les spectateurs (nous) et les créateurs (nous, dans une certaine mesure). Leurs actions ont des conséquences directes sur l'intrigue du film dans le film (: la mésaventure des personnages). Comme le producteur à de l'emprise sur le film qu'il produit, ou que le réalisateur a (plus ou moins) de l'emprise sur le film qu'il réalise, ces gens-là ont de l'emprise sur ce monde, qui se révèle être le leur.

Dans Buffy, Joss Whedon aborde à plusieurs reprises la question du pouvoir de la création et du rôle de l'auteur dans sa vie et dans celle des autres (notamment dans les épisodes Superstar ou Storyteller) : quand on invente une histoire, on donne du sens à sa vie, on la sensation d'avoir du pouvoir, de tout réarranger à sa guise. C'est ce que sont ces techniciens, avant que le pouvoir ne leur soit retiré (et qu'ils ne se retrouvent en situation de frustration extrême...). Mais ils sont aussi les spectateurs. Des spectateurs, actifs, certes, mais des spectateurs : comme nous, ils parient sur qui mourra comment (on fait tous ça devant un film d'horreur, non ?) et regardent, véritablement, depuis un écran, comme nous, encore une fois.

Et nous dans tout ça ? Nous sommes à la fois ceux devant cet écran, et ceux derrière : des individus qui tentons de survivre et de s'octroyer un minimum de choix pour mener notre vie où bon nous semble, sans qu'un pouvoir extérieur ne vienne faire entrave à nos aspirations personnelles. C'est en se libérant de cette pression que les personnages vont parvenir à se dessiner un avenir, c'est en vivant indépendamment du pouvoir de la création des autres que l'on est prêt à devenir nos propres créateurs, et à écrire notre propre histoire.

Lehane
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le 18 août 2014

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