C'est la première fois qu'une femme quitte Antoine, d'habitude il la quitte le premier. Ce sont ses mots. Il l'attend à la gare, il a préparé son discours de rupture. Il lui cite avec cette obstination de Luchini à surjouer chacune de ses phrases les notes qu'il a prises jour après jour, dans ses carnets, comme pour lui faire regretter de les avoir dites. Antoine aime bien gâcher les choses, elle s'en fiche, elle le quitte pour un autre homme.

Antoine aime parler, il le raconte aussitôt à son ami - libraire et éditeur. Il lui raconte à son tour la rupture de la gare, se prend pour Guitry mais son ami s'en fiche un peu lui aussi :
"- En somme, une histoire assez banale.
- J'en ai bien peur
- Qu'est ce que tu vas faire maintenant ?"
Un éclair d'intérêt lorsqu'il déclare avec dépit "J'aimerai assez me venger d'elle. Je ne sais pas comment faire, j'ai si peu d'imagination."

Une idée mesquine se glisse dans son esprit, le pousser à écrire un nouveau journal. Qui sera publié aussitôt terminé. Celui d'une séduction, d'un amour et d'un abandon. La machine est lancée, il ne manque plus qu'une victime. Commençons la petite annonce : "Éditeur cherche étudiante..."

"Deux postulantes, jugées trop vieilles, la trentaine ont été écartées." Arrive Catherine, la toute jolie Judith Henri. Elle ne lui plait pas du tout, en retard, les cheveux mouillées, un doux sourire sur ces petites lèvres que souligne la discrète, un grain de beauté glissé juste au-dessus du menton.

La suite on l'imagine, Luchini parle, parle, parle jusqu'à s'essouffler. De toutes façons, il ne sait faire que ça. Il n'aime rien.
"- Vous êtes toujours très libre Antoine, on dirait que vous ne faites jamais rien.
- Je vous donne l'impression de quelqu'un qui ne fait rien ? Je trouve que c'est le contraire, c'est surtout les gens qui ne font rien. Et puis même, la plupart du temps, les gens qui travaillent, ils travaillent à des choses complètement inutiles. Savez vous pourquoi les gens croient que le temps qu'ils passent à faire des choses complètements inutiles c'est du travail ? C'est parce qu'en échange de ce temps perdu on leur donne de l'argent, en fait, en les payant, on achète leur silence !
- Et moi, si je vous donnais de l'argent, j'arriverai à vous faire taire ?
- Moi ? On ne m'achète pas comme ça !"

Tout ce vide a-t-il quelque impact sur cette jeune fille innocente ? Cet homme sans passion, sans rêve peut-il séduire ? Il n'aime rien que parler, il a des idées sur tout, et il lui raconte. Jusqu'à cette discussion sur le mensonge. Cette fille si silencieuse qui se mettait à parler. Ce regard. Ce mensonge.

J'en ai été venu à les aimer. Cette histoire d'amour qui se glissait sous ce journal, cette vengeance qui s'oubliait, c'est moi qui était séduit.

Que dire de plus, j'aime son ivresse par la fenêtre de la voiture qui roule dans Paris la nuit. Même lui, en était venu à la trouver si jolie. Et j'ai aimé le reste, sans vous le raconter, jusqu'à la fin. Il y a des tas de jolies phrases que je voudrais vous dire comme elle.

"Vous savez je me lasse très vite des gens Antoine, je m'attache vite à eux parce que je suis curieuse. Mais quand je les revois, je suis souvent déçue. Et vous, on dirait que vous avez jamais besoin de personne."
JZD
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le 20 mai 2012

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J. Z. D.

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