Revu, enfin, ce monument, au rythme inégal mais fascinant, qui conte, d'une autre façon que Pat Garrett et Billy the kid, la mort du western.
Ce n'est plus l'esthétique crépusculaire de Pat Garrett, mais la mort de l'aventure rôde, et, avec elle, celles des idéaux. Cette horde sauvage, c'est avant tout une troupe d'hommes fiers, liés par une amitié virile et poilue, partagée autour de femmes, de rires gras, de fusillades et de bouteilles d'alcool qu'on joue à vider. Et ils ont beau partir d'un village comme des conquérants , sur une musique épique, ils ne resteront jamais que des pilleurs professionnels ; ils peuvent toujours s'inventer des codes moraux, ils ne seront jamais que de grands enfants brutaux, cruels, d'une férocité presque inconsciente, à l'image de ces différents enfants, les plus mauvais, qui parsèment le film (torturant un scorpion en le jetant dans une fourmilière, lui mettant le feu...). De grands sauvages, certes attachants dans leur humour cinglant, mais aveuglés par leur propre déchéance.
Alors oui, ils parcourent de grands espaces superbes, empoussiérés, poudrés d'une lumière impressionnante (très beau travail de photographie), entre déserts et rocheuses, entre l'Amérique aux idéaux déchus face à une modernité grandissante (morale corsetée des ligues anti-alcooliques, chasseurs de prime dépourvus d'intelligence, voitures qui ruinent l'idée que l'ultime aventure restera toujours de s'approprier par soi-même la grandeur des espaces) et un Mexique rongé par des désirs d'utopie et de révolutions impossibles (le personnage du général est-il autre chose qu'un roitillon aux pulsions enfantines jamais satisfaites ? Et face à lui, Pancho Villa fait figure d'ombre presque absente...).
Mais leur errance est vouée à l'échec : ils sont les héros usés d'un univers déjà disparu. Leurs fusillades ne peuvent plus être des instants d'héroïsme sauvage, mais, à l'image de la première, au montage fort intéressant (gestes accélérés, plans très courts qui s'enchaînent à un rythme saccadé, mêlant gros plans et vues d'ensemble passant trop vite pour que le regard ait une vision globale de la situation), elles ne sont plus qu'une anarchie sans gloire. Le temps des braqueurs superbes est révolu : ne reste plus que la cohue, le chaos d'une violence archaïque, inadaptée, que remplacera un autre type de chaos, celui d'une mitrailleuse que l'on ne maîtrise pas (la première prise en main du général est un échec d'un ridicule mordant, la dernière fusillade globale finit en massacre incohérent ne pouvant satisfaire que des charognards).
Alors ils peuvent bien rire, autour d'une bouteille qu'ils se passent, dans un sauna où fume la testostérone, sous une pluie de vin arrosant les seins amples de putes mexicaines réduites à des rires idiots : leur monde s'écroule déjà autour d'eux, leurs idéaux moraux et leur fraternité oscillent, les rapports de force s'instaurent et assombrissent leurs coeurs de forbans incompris et oubliés par le temps.
Ne restent plus à ces trognes inoubliables (ce casting !), comme ultime héroïsme, qu'une mort conquise fièrement au milieu du chaos, faute de pouvoir s'adapter à un futur au profil amer.