Et encore, heureusement qu'ils ont changé le titre...

J'ai beaucoup défendu ce film quand certains crachaient dessus sans même l'avoir vu au moment de son succès à Cannes (pour des raisons diverses, pas seulement le scandale des conditions de tournage). D'abord parce que j'étais content que Le bleu est une couleur chaude soit adaptée, et aussi parce que j'avais une grande confiance en Kechiche (dont j'ai aimé tous les autres films) pour en faire un film qui ne soit ni bêtement prosélyte ni complaisant avec ses personnages.
Aujourd'hui, je regrette presque de l'avoir défendu.


J'commence par le bon côté : la photographie est vraiment belle, ce qui rend le film très plaisant visuellement voire parfois enivrant. Mais ça ne l'empêche pas de clairement passer à côté de presque tous ses sujets (l'éveil de l'amour, la découverte de son homosexualité, les rapports de classe dans la vie affective...), ou alors d'en dire des choses triviales.
Le point culminant de tout ça se trouve dans les scènes de sexe, ou plutôt de catch féminin, qui rappellent par moments un peu ça (pour les connaisseurs) (en plus joli, évidemment). Au mieux, ça ressemble à du porno (pour hétéros, bien-sûr), ce qui est d'autant plus surprenant quand on se dit qu'Adèle est censée découvrir cette part d'elle-même à ce moment-là...



Le Vide d'Adèle



De par sa durée, son montage, et ses gros plans systématiques écrasant des personnages lourds et banals, le film fait tout pour nous mettre à bout. C'est une habitude chez Kechiche, qui usait par exemple de ce principe de manière encore plus forte dans Vénus Noire. Mais là où ça se justifiait pleinement dans ce précédent film, quel est l'intérêt ici de mettre à bout en filmant l'amour ? Le réduire à un désir bestial ? (voir par exemple les nombreux gros plans sur Adèle, personnage souvent réduit à un corps toujours bouche bée, parfois même bavante)
Même en oubliant la BD (dont le film est un contresens, et qui est bien plus poignante), je ne vois pas l'intérêt ni la force artistique là-dedans (et je ne compte pas tous les ratés, comme les ellipses temporelles très mal gérées).
Comme c'est dit à un moment en cours de français, "la pesanteur elle-même est un vice". Si seulement Adèle avait un soupçon de lucidité et comprenait un peu les livres qu'elle aime pourtant tant lire... Le moment le plus gênant est quand je me suis rendu compte qu'elle était devenue prof (il m'a fallu un bon moment avant de comprendre qu'elle était censée avoir vieilli), tant elle apparait encore à ce moment immature et creuse (y compris dans sa relation amoureuse).


Et en plus de tout ça, la morale du film est telle qu'elle donnerait raison à Christine Boutin et ses copains ! Parce qu'Adèle est tellement une coquille vide que l'image qu'elle donne de ses amours est qu'elle suit son instinct selon ses pulsions, renvoyant à une image de l'homosexualité comme déviance (n'aurait-elle pas mieux fait de rester avec des mecs ?, semble presque suggérer la fin) animale. Bien-sûr Kechiche a le droit de montrer une telle héroïne, mais je n'en vois pas l'intérêt et je trouve même ça contre-productif pour la "défense" des homosexuels...


Et pourtant l'idée de Kechiche à la base était bonne : normaliser l'amour homosexuel en montrant une histoire d'amour normale (pour ne pas dire banale, bonjour les dialogues), qui finit par dérailler pour des raisons sociales. Mais autant le discours de Kechiche est d'habitude intéressant sur les rapports de classes, ici ça en devient caricatural, avec d'un côté Adèle l'éternelle mangeuse de spaghettis bolo et de l'autre sa copine mangeuse d'huitres (putain la métaphore à la Spartacus, faut oser), sans que jamais leurs mondes n'arrivent vraiment à s'unir ni même se comprendre. Leur relation semble ne tenir que par le désir, Adèle étant incapable d'évoluer intellectuellement (et ne donnant même pas l'impression de le vouloir, c'est à se demander comment elle devient instit) et sa copine restant pleine de suffisance alors que sa culture n'est là que pour se la péter, en mode bourge qui rigole quand on lui parle de Bob Marley (c'est même pas une bobo, en somme).


Bon désolé si cette critique semble agressive et brouillonne, mais je vous assure que mon avis est réfléchi, j'ai même revu le film pour être sûr de moi et j'avais alors des dizaines de points précis qui me révulsaient (mais j'allais pas tous les mettre ici, le texte est déjà assez à charge je pense).
Encore une fois j'ai été vraiment déçu même en oubliant la BD, dont j'ai vite compris que Kechiche l'avait juste utilisée comme base de travail. C'est d'ailleurs très honnête d'avoir changé le titre en cours de production. Parce que sinon je n'aurais pas seulement été désespéré, mais révolté.

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le 5 févr. 2015

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youli

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