L'histoire est connue, même la fin (provisoire), et pourtant La fille de Brest nous tient jusqu'au bout, avec un rythme sans répit car il y a urgence, il y va de la vie des malades dans un combat contre un crime, finalement très organisé... Et Emmanuelle Bercot nous le rend bien dans son film inspiré de l'engagement de la pneumologue Irène Frachon: Mediator 150MG, combien de morts?


C'est un film plein d'énergie. Dès le générique, magnifique prise de vue d'une nageuse, seule, dans la rade de Brest. On comprend que c'est un moment pour «décompenser» de la vie trépidante d'un médecin hospitalier. La séquence suivante, dans une salle d'opération la prise de vue est moins esthétique. On suit, millimètre par millimètre une intervention à cœur ouvert, déterminante pour comprendre et si possible guérir une malade, traitée au Mediator. Ce que l'équipe médicale trouve et les clichés pris au vif par la pneumologue, soulèvent la question de la nocivité de ce médicament, un coupe-faim des laboratoires Servier causant des graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d'hypertension artérielle pulmonaire, pathologie rare et incurable.
L'affaire Mediator est lancée!
Avec l'ardeur que la recherche de la preuve déclenche, Irène Frachon se lance, après avoir persuadé -et démontré- la justesse de son hypothèse, avec la petite équipe de recherche du CHU de Brest, qui accepte de l'épauler.
Le combat d'Irène Frachon avait commencé en 2007. Le film concentre l'action dans la période où les protagonistes se battent pour faire reconnaître le crime-médical qui est en train de se dérouler (et qui dure depuis trente ans). Les séquences des débats dans le cadre de l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), où l'ironie et le mépris des conseillers de Servier pour ces «petits apprentis chercheurs bretons» s'accompagne de la rigidité et, peut-être compromission, de l'Agence officiel avec le deuxième grand laboratoire français.
On sent, et le film le retrace avec efficacité et finesse, qu'il s'agit pour les uns de la vie des malades qui est en cause, et pour les autres l'affirmation des prérogatives des laboratoires 'sachants-puissants' et d'une administration bureaucratique et zélée qui n'accepte pas de se contredire par les autorisations déjà émises.

Finalement la nocivité du Mediator est établie. En 2009 il est retiré du marché. Mais le combat continue et ce n'est qu'en octobre 2015 que, pour la première fois la responsabilité civile des laboratoires Servier est reconnue par la justice et confirmée en appel cette année. Ajoutons que pour l'affaire au pénal ne sera pas jugée avant 2018 et, pour l'heure, Servier renâcle à indemniser les victimes.
L'efficacité du propos de ce film est aussi la qualité de l'interprétation de Sidse Babett Knudsen, (artiste danoise qui a joué le Première ministre dans une série, très politique Borgen mais aussi dans le filme L'Hermine, aux côtés de Fabrice Luchini). Elle dispose d'une énergie naturelle, transmissible, très vivante et drôle. Il y a une sorte de légèreté dans son jeu qui suscite, malgré la gravité de l'enjeu, une forte disponibilité pour percevoir son engagement. Il semblerait qu'Irène Frachon, très professionnelle et sérieuse dans sa fonction est aussi riche de fantaisie, appuyée par une famille joyeuse, que le film fait bien ressortir. Le professeur chercheur, Le Bihan, qui la soutient avec son équipe (et qui perdra les crédits de recherche du fait de son engagement) est joué avec délicatesse par Benoît Magimel. Il montre bien le doute, la peur, l'engagement, les engueulades et finalement sa détermination posée à l'appuyer dans ce combat.
Ce n'est pas un film où il y aurait des purs et des affreux, dans un combat manichéen. Ce risque, la réalisatrice a su l'éviter, racontant l'histoire d'un engagement qui pourrait illustrer l'apparition d'un «lanceur d'alerte». Ce n'était pas cela l'intention d'Irène Frachon. Plus que de dénoncer, sa détermination était d'arrêter, de mettre hors de l'état de nuire un médicament-tueur. Ce film montre aussi, par touches, sans discours mais bien précisément, «la collusion ou la compromission ou l’accommodement» des pouvoirs publics, à travers l'Agence officielle, avec un grand laboratoire. Au-delà de l'engagement pour sauver des vies, c'est aussi cet aspect plus institutionnel que le film a su souligner.
Un film nécessaire à voir et à conseiller pour une prise de conscience salutaire...
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/211116/la-fille-de-brest-et-du-mediator

ArthurPorto
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le 19 nov. 2016

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