Il n'y a pas de vérité anonyme

Le corbeau est un film d'Henri-Georges Clouzot avec Pierre Fresnay dans le rôle principal. Petit chef d'œuvre de réalisme, Clouzot n'ayant jamais caché son admiration pour Fritz Lang, il rappelle par certaines scènes M Le Maudit. Inspiré d'un fait divers, l'affaire de Tulle, il a marqué de son empreinte le cinéma français et offert un nouveau vocable pour désigner les anonymographes comme celui de l'affaire du petit Grégory.

Sorti en pleine occupation, distribué par une compagnie de production allemande, le film n'est pourtant pas une œuvre de propagande, loin de là. Si Clouzot et Fresnay (ce dernier ayant notamment été décoré de la Francisque) ont été inquiétés à la Libération, interdiction d'exercer pour l'un et prison ferme pour l'autre, le film a aussi suscité une vive polémique sous l'occupation. Il fut notamment accusé de dépeindre une France trop noire. Pour l'époque, certaines idées étaient en effet dérangeantes : le héros n'était pas croyant et refusait d'aller à l'église ; l'héroïne est boiteuse et son handicap est assumée sans complaisance dans la réalisation ; une fille de 14 ans joue les Lolita de manière presqu'outrancière ; les représentants des pouvoirs publics sont tous présentés comme lâches, incompétents et injustes ; la moindre réflexion de sagesse est teinté d'un cynisme assumé et tout à fait symptomatique de l'époque.

La dramatique interpelle car assez vite, on réalise que tout le monde a quelque chose à se reprocher. Et si on n'est pas obligé de souscrire à la morale de la fin qui fait dire à Pierre Fresnay que cette épreuve fut un mal pour un bien pour tout le monde à commencer pour lui-même, on ne peut s'empêcher d'y voir un parallèle avec la situation de la France d'alors. Il y eu en effet en France, sous l'occupation plus de lettres de dénonciation que d'habitants, 40 millions.

Un bon classique donc, pas de la première jeunesse, mais qui mérite le détour quand même.