Il était quand même temps que je poursuive la filmographie d’Eisenstein. Et pour cela, rien de tel que son film le plus connu et réputé, qui arpente les tops en tous genres depuis tant de décennies. Si la propagande de La Grève m’avait gêné à cause de son manque de finesse, ce n’est pas le cas du Cuirassé Potemkine qui n’est pourtant pas un monstre de subtilité non plus. Comme quoi avec du recul, je digère bien mieux cet aspect en le resituant plus facilement dans son contexte. Après, paradoxalement, je dirais que le message du film n’est pas forcément néfaste, ce sont juste certains procédés qui le sont. J’y reviendrai plus tard. Parce qu’après tout j’ai envie de commencer par le positif et il y en a car pour aimer un film de propagande soviétique qui a 90 ans alors que je ne suis pas coco, il me fallait une sacrée matière !


Sur un plan visuel déjà, c’est juste la folie. J’ai rarement vu un découpage aussi dynamique dans un film muet voire même dans quelques films postérieurs à cette période. Le chapitre du soulèvement sur le navire est, pour ma part, le parfait étendard du génie du montage de ce film. L’alternance assez rapide des plans confère au film une cadence folle qui rend l’action vraiment intense tout en demeurant d’une fluidité remarquable. Et cette maîtrise visuelle offre de grands moments de cinéma. Toute la séquence de la bâche vers le début par exemple est d’une tension insoutenable et c’est la force de l’image qui nous procure cette sensation. Mais pas que, car pour ma part il y a une véritable implication émotionnelle envers ces simples matelots bien que l’on ne sache pas vraiment qui ils sont. Ils sont maltraités, oppressés, méprisés et on leur souhaite tout simplement de meilleures conditions de vie, de se sortir de ce système.


Et finalement ce film n’est ni plus ni moins qu’un appel à se révolter face à l’oppression, ce qui n’est pas un mauvais message en soi. Au contraire même. Bon après « l’ennemi » est exagéré, à l’image de ce prêtre orthodoxe qui arbore une figure malsaine ultra caricaturale. Et on pourrait également disserter des heures durant sur l’oppression du régime soviétique, surtout à cette époque, ce qui rend finalement les intentions du film assez contradictoires. Mais personnellement j’avoue que ça ne m’a pas gêné tant celui-ci m’a fasciné par son habileté et parce que je rejoins les idées principales de l’œuvre dans ses grandes lignes. D’ailleurs j’étais vraiment à fond dedans la première demi-heure tant c’était grandiose en termes de cinéma.


Mais j’ai un peu décroché après le passage de la révolte du bateau. La partie transitoire entre cette longue introduction et la fameuse séquence de l’escalier accuse une baisse de rythme non négligeable. Disons que tout ce passage aurait pu durer moitié moins tant l’idée véhiculée et l’impact de celle-ci sont finalement assez simples. Mais cette succession de dialogues s’étire quand même pendant un bon moment, ce qui atténue sa force en fin de compte. Après, heureusement, est venue la fameuse scène de l’escalier pour redonner plus de nerfs au long-métrage. Alors cette séquence cumule beaucoup de points forts mais quelques aspects gênants car si visuellement c’est fort, ça reste quand même bien racoleur. L’exécution froide de la mère et de son enfant c’est quand même un procédé bien nauséabond tant c’est amené maladroitement à la manière d’un cheveu sur la soupe. Après il y a quand même une belle tripotée de plans et scènes mythiques pour compenser le côté trop facile (mais habile) de la propagande. Le fameux travelling en plongée sur le landau est remarquable de fluidité notamment et au vu du matériel technique de l’époque, c’est une sacrée prouesse.


Je dirais que l’on a affaire à un film très intelligent finalement bien qu’il soit au service d’un régime qui n’était pas forcément le plus tendre au monde (euphémisme). Et cette intelligence crée la fascination et le film développe une ambiguïté vraiment étonnante en fin de compte. Car le message principal est une ode à la liberté et si les faits ont été quelque peu romancés, il y a quand même une part non négligeable de vérité dans le film. Après clairement la conclusion est simpliste au vu de la réalité beaucoup plus amère (les révoltés ayant globalement mal fini) mais dans l’ensemble il y a quand même un respect des événements qui fait que le film offre finalement une vision assez précise des causes qui ont mené une partie du peuple à se révolter. Le visionnage du Cuirassé Potemkine est indispensable à la fois en tant que témoignage historique mais aussi et surtout en tant que film remarquable sur le plan artistique. En tout cas, je l’ai trouvé vraiment saisissant malgré ces quelques défauts pas seulement idéologiques.

Moorhuhn
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le 21 oct. 2015

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