Critique pas claire, comme le film...

Abram Room est un cinéaste russe tout à fait singulier. En deux films vus, il réussit à nettement se démarquer par une vision réaliste, très progressiste et une mise en scène très particulière, du domaine du subliminal, qui dissèque férocement le système soviétique dans sa globalité en parlant du quotidien individuel tout en caressant la censure et la propagande bolchévique dans le sens du poil.

Concernant "Trois dans un sous-sol", des analyses du film (1) ont déjà porté sur le récit et son double langage, mettant en lumière le caractère non seulement moderne dans sa manière frontale d'aborder la sexualité ou l'avortement mais aussi éminemment politique et contestataire par sa forme qui sous entendrait par exemple ***spoiler*** que Ludvina emporte avec elle le futur de la Russie libre fuyant ses deux faux amours passés, Vladimir le révolutionnaire bolchévique et Nicolai le Tsar. Tout un message de contestation donc.***spoiler***

Dans "Le fantôme qui ne revient pas", c'est une toute autre histoire, à tel point que j'ai cru voir par moment du Welles, du western voir même une pincée de Lynch ! Encore une fois, Abram Room se sert d'une base droite dans ses bottes, un révolutionnaire emprisonné, destiné à mener une grève générale, pour raconter toute autre chose, la courte errance d'un homme emprisonné 10 ans qui a droit à 1 journée de liberté avant le mot Fin. Poursuivi par un gardien de prison très Von Strohmien, il finit par s'endormir dans le train qui le ramène à son père, sa femme et ses deux fils pour échouer dans un désert où il s'endort une seconde fois. Et c'est là qu'il se passe un truc. Un truc réel et à priori logique mais aussi un autre truc, des trucs, comme un rêve dont on se demanderait presque si ce n'est pas une erreur de monteur déchiré à la vodka. Encore une fois, Abram Room interroge la perception que l'on peut avoir d'un film par sa mise en scène, et c'est vraiment unique... Et spécial.

Paradoxalement, le film est plus simple et linéaire que "Trois dans un sous-sol", plus bis que les gros classiques qui l'ont précédé aussi oserais-je dire, et préfigure lourdement les films de genre à venir quelque part, si, si, là-bas... Tiré d'une nouvelle de Henri Barbusse (dont je ne sais rien), l'action prend place en Amérique latine ce qui est déjà des plus original pour un film au crépuscule de l'âge d'Or du cinéma muet Russe (enfin, une Amérique latine avec des russes et quelques chapeaux de vachers sortis d'on ne sait où).

En fait, ce film est vraiment bizarre plus j'y pense, plus crépusculaire que révolutionnaire... On passe d'une prison filmée un peu comme Eisenstein a pu filmer la répression dans La Grève, mais avec des odeurs de prémisses dystopiques grâce à une géométrie presque fictionnelle de l'architecture. La prison est circulaire, cernée par des couloirs de sortie exagérément longs et encadrés de murs infranchissables. Notre héros barbu, José Real, décompte le temps qui le sépare de son jour de liberté en regardant chaque angle de sa cellule (2) tandis que le directeur de la prison à l'allure d'handicapé hideux s'étale de son petit corps cassé sur sa chaise ou sa table toutes deux énormes, fomentant l'assassinant du dangereux leader révolutionnaire.... Mais où en étais-je...? Ah oui, on passe donc de cette prison quadrillée à un train, puis un désert, un désert de liberté mais aussi un désert de perdition, un désert de rencontre manquée, un désert de retraite, un désert de repos, bref un désert quasiment Jodorowskien avec son lot de plans larges bluffants, sans atteindre le grandiose.

Pas aussi solide que "Trois dans un sous-sol" peut-être, parce qu'il se passe vraiment quelque chose de pas du tout logique dans ce désert de toute façon, et la mise en scène est un peu brutale par moment, mais ce film a clairement quelque chose d'unique et ne manque pas d'idées. Quand on pense que le réalisateur a peut-être fait 20 films de ce niveau sur 5 décennies de cinéma russe, ça titille l'imagination.

(1) : http://dvdclassik.com/critique/menage-a-trois-room
(2) : http://www.cadrage.net/films/fantome/fantome.html
drélium
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le 27 avr. 2012

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drélium

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