Jean-Pierre et Luc Dardenne ont gagné deux fois la palme d'or au festival de Cannes, pour « Rosetta » (1999), puis pour « L’enfant » (2005). Autre récompense, le grand Prix du festival pour « Le gamin au vélo » (2011). « Le fils » faisait partie de la sélection officielle en 2002 (11 ans déjà). Pas de récompense pour le film lui-même, pourtant...

Pour éviter d’en savoir trop sur l’histoire proprement dite, vous pouvez sauter toute la partie entre crochets ou bien consulter la critique de Al_ :

http://www.senscritique.com/film/Le_Fils/critique/11004185

[ Dans un centre de formation, Olivier (Olivier Gourmet, prix d’interprétation) enseigne la menuiserie à un groupe de 4 garçons. Il doit être très attentif, car le travail nécessite minutie et surveillance. Pourrait-il accepter un nouveau ? Refus, hésitations, observations. Finalement, Olivier le récupère au vestiaire, prostré sur les carreaux d’une douche et il l’intègre à son équipe.

Rentré chez lui, Olivier écoute des messages sur son répondeur téléphonique pendant qu’il se prépare un repas sommaire. Puis on sonne à sa porte. Après un temps de surprise, il fait entrer une jeune femme (Isabella Soupart) qu’il appelle Magali. Celle-ci vient lui annoncer qu’elle a rencontré quelqu’un d’autre et qu’elle est enceinte. Olivier écoute et tourne le dos pour cacher ses émotions. Il la laisse repartir. Mais il descend en courant pour l’empêcher de démarrer et lui demander par la vitre baissée de sa voiture : « Pourquoi aujourd’hui ? »

Au travail, le nouveau (Morgan Marinne) s’intègre progressivement et Olivier l’emmène avec lui pour une course. Olivier va trouver Magali à la station-service où elle travaille et lui annonce que Francis Thirion est sorti. Magali demande si c’est celui qui est dans la voiture avec lui ? Olivier prétend que non. Elle ne le croit pas et fait un malaise. Un peu remise, Magali dit à Olivier « Il a tué xxxxxxx . Comment peux-tu faire ça ? Personne ne ferait ça. » Mais Olivier est incapable de fournir la moindre explication. D’ailleurs, à un moment il se regarde dans une glace comme pour s’interroger lui-même : qui est-il réellement pour faire ça ? ]

Le spectateur ne cesse de se poser des questions. Chaque plan apporte de nouveaux éléments. Comment Francis a-t-il pu arriver dans le centre où Olivier travaille ? Une pure aberration pourrait-on dire, oui une aberration comme la vie en réserve parfois… Que se passera-t-il quand Olivier saura exactement à quoi s’en tenir sur Francis ? Se contentera-t-il de jouer au baby-foot avec lui ? De lui apprendre un travail ? Cherchera-t-il à lui inculquer de vraies valeurs ? A moins qu’il ait une idée derrière la tête. Que se passe-t-il dans la tête d’un garçon qui a commis un meurtre à l’âge de 11 ans ? Dans quel état psychologique est-il en sortant de 5 ans de détention ?

Les frères Dardenne s’intéressent à ce qui peut se passer ensuite. Leur cinéma dégage une telle humanité qu’on peut s’attendre à tout. Olivier est un homme brisé. Mais Francis est jeune et il considère qu’en restant enfermé 5 ans il a payé sa dette. Olivier joue un rôle d’éducateur. Tout ce que sa vie de famille ne lui a pas apporté. On voit Olivier et Francis transporter un énorme madrier. Scène symbolique, où chacun s’applique, comme pour porter sa croix.

Le cinéma des frères Dardenne ne cherche pas la séduction immédiate des productions hollywoodiennes. Pourtant, il imprègne fortement les mémoires des spectateurs. Ici, aucun accompagnement musical et un homme souvent filmé de dos (gros plan sur sa nuque, la caméra épiant ce qui se passe plus loin, comme le fait Olivier), dans son travail et dans ses démêlés avec Magali. Entre eux, une vraie tendresse est encore palpable. Ils ont malheureusement vécu un drame dont ils ne pourront jamais se remettre ensemble. Olivier est un homme brisé qui cherche à comprendre.

Le fils des frères Dardenne... encore une histoire belge bien tordue ? Ne vous laissez pas abuser par ceux qui dénigreraient ce film sous des prétextes aussi fallacieux. Ce film est un bijou d’humanité où les cinéastes utilisent leur science de la narration et du cadrage pour happer le spectateur dans un drame où les motivations des uns et des autres se dévoilent progressivement. Olivier agit en homme blessé, alors que Francis tente de survivre. Le choc entre ces deux là est forcément très fort, émotionnellement parlant. Ce film invite le spectateur à se plonger au cœur de ce qui fait l’humanité. Mention spéciale à Olivier Gourmet dans un rôle très physique : travail dans l’atelier et des réactions violentes, puisqu’il se met parfois à courir à l’improviste où à faire de l’escalade pour observer du haut d’une armoire. Derrière son front dégarni et ses lunettes aux verres épais, on sent parfaitement la détresse de l’homme abattu qui évolue constamment, au gré des événements.

Ce film est un vrai coup de cœur qui fait partie de mon Top 10.
Electron
10
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le 25 mai 2013

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Electron

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