Un film avec un sourire, peut-être avec une larme.

Des films dont l’histoire et la mythologie mêlent autant la fiction et la réalité, The Kid est assurément l’un des plus troublants. Si Chaplin a hélas souvent été un artiste maudit, l’histoire de ce que beaucoup considèrent comme son premier long-métrage le prouve à qui en douterait. Agé de 30 ans lors du début du tournage en juillet 1919 (tournage qui s’étalera sur plus d’un an pour les raisons qui vont suivre), Chaplin est un personnage déjà mondialement connu du grand public par sa silhouette, son humour et sa présence scénique. John Carpenter affirma lors d’une interview que le premier film d’un cinéaste est souvent son plus personnel. Cette maxime s’applique parfaitement dans le cas de Chaplin.

The Kid n’était à l’origine qu’un projet de court-métrage de plus dans la carrière déjà bien fournie du réalisateur. Le contrat le liant à la First National l’obligeait à l’époque à fournir encore un certain nombre de courts-métrages sur une durée d’un an. Mais Chaplin, de plus en plus perfectionniste et ambitieux, décidait de consacrer d’avantage de temps à ses œuvres. La genèse de The Kid en est la preuve la plus flagrante. Le film gagnant en importance aux yeux de Chaplin, la production va donc s’étaler sur quasiment un an, au grand dam des producteurs qui ne voient pas d’un bon œil le fait que son film coûte autant d’argent (le film se présente en effet sur six bobines alors qu’un court "classique" n’en comporte que deux).

Sa vie privée et sa vie personnelle vont se mêler et parfois se confondre de manière troublante sur le tournage de ce film. La mère du fameux Kid est interprétée par son ancienne concubine Edna Purviance. Une chose n’arrivant jamais seule, deux semaines après le début du tournage, son premier enfant âgé de 3 ans décède. Triste conséquence, le couple qu’il forme avec Mildred Harris, sa première femme, se détériore ; femme que Chaplin remplacera trois ans plus tard par Lita Gray qui joue un petit rôle dans le film. A l’instar de David Cronenberg avec The Brood (Chromosome 3, 1979), le film va jouer son rôle d’exorciste et va permettre à son auteur d’affronter ses démons présents et passés.

Le drame qui s’est abattu sur l’auteur se sent et est exprimé de façon complètement imagée dans le film. Une des scènes d’ouverture voit Chaplin (un mendiant) se retrouver par hasard dans une rue où justement l’enfant est abandonné et qui, par un gag savoureux, celui du landau, va devenir le père du héros du film. Cette scène résume à elle seule les motivations profondes du cinéaste et représente la clé de voûte du film : l’image de la mère, dénigrée, renvoie également à la vraie mère de Chaplin que ce dernier a perdu de vue depuis plus de 6 ans. Le personnage de Chaplin est définitivement tiraillé entre le hasard de la situation (le mendiant n’aurait pas du passer par là) et le désir de devenir père.

Cette scène essentielle passée, le film se présente comme une succession de petits sketchs très souvent drôles (on rit vraiment) dépeignant la vie difficile du père et du fils. Le contexte exceptionnel dans lequel a été créé le film ne saurait néanmoins dissimuler et encore moins substituer les ambitions premières du cinéaste qui sont ici pleinement exprimées. Faire rire autant qu’émouvoir grâce à un style épuré à l’extrême (la mise en scène est très "économe"). L’aspect social de son œuvre est d’ores et déjà présente ici avec la misère quasi-constante.

Chaplin montre ici plus que jamais son sens unique de la scène, de l’instant, bref, tout ce qu’on aime au cinéma ; le tout au profit d’un récit connu de tous. Il s’agit sans doute du film le plus célèbre de Chaplin, le plus universel d’un des cinéastes les plus universels. Rien que l’affiche où l’on voit Chaplin et le Kid assis tous les deux sur une marche est probablement l’une des images de cinéma les plus célèbres. Il suffit d’ailleurs de se plonger dans les bonus du DVD et du reportage sur le cinéaste iranien Abbas Kiarostami pour se rendre compte à quel point le cinéma de Chaplin, dont The Kid reste l’une des pierres angulaires, reste ancré dans les esprits. Le visage du cinéaste orne même les murs de Téhéran aux côtés de ceux des membres du gouvernement. Un visage avec un sourire, peut-être avec une larme.
GwenaëlG
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le 29 nov. 2013

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Eclectic Critic

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