Il y a trois ans, Le "Alice au Pays des Merveilles" de Tim Burton a connu (on ne sait toujours pas très bien pourquoi) un énorme succès financier international. Ni une ni deux : Disney nous offre aujourd’hui une copie carbone de cet affront esthétique de 2010, avec pour seule différence notable une saturation visuelle dans les verts au lieu des bleus.

Burton avait massacré le texte de Lewis Carroll pour l’adapter à son imagerie fatiguée et repoussante ; le prétexte de cette nouvelle débauche de moyens et d’effets spéciaux est cette fois-ci l’univers créé par de L. Frank Baum autour du Pays d’Oz. Le résultat est une sorte de prequel au "Magicien d’Oz" de 1939, réalisé par Victor Fleming, devenu un classique du catalogue de la MGM. Sans surprise, le film est un monument de laideur, aussi hideux que l’était le "Alice" de Burton ; ce genre de production de cinéma fantastique exigeait paradoxalement un décor au réalisme magique pour nous pousser à y croire ; à l’arrivée, on nous balance en pleine figure une avalanche de paysages tous plus écœurants les uns que les autres (attention à l’overdose de glucose).
Le "Magicien d’Oz" était déjà un monument de kitsch, mais avait le mérite de tenter des audaces visuelles très efficaces grâce au pouvoir du Technicolor, à sa reconstitution en studio et à la vigueur de sa bande originale. Le trop-plein de sucre était en quelque sorte compensé par une énergie primitive et par la candeur et l’émotion qui se dégageaient de l’interprétation de Judy Garland et Frank Morgan.

Les personnages restent ici sans épaisseur ; ils ne sont jamais touchants (la petite fille en porcelaine, pourtant introduite dans le film par une jolie scène très poétique et presque merveilleuse, devient vite agaçante, au point de ressentir l’envie irrépressible de la piétiner pour la briser en mille morceaux) ou inquiétants (la méchante sorcière de l’Ouest, à qui Margaret Hamilton donnait une dimension si angoissante en 1939, n’est qu’une vague création mi-humaine, mi- numérique, à qui on a offert un décolleté plongeant mettant en valeur la poitrine bombée de Mila Kunis, tentative pleine d’une élégance pachydermique de la sexualiser de la manière la plus racoleuse possible, comme si cette figure iconique avait besoin de cela pour exister). James Franco est d’une fadeur exceptionnelle, Michelle Williams d’une niaiserie redoutable et Rachel Weisz fait ce qu’elle peut d’un rôle très limité, sans aucune partition à jouer (les acteurs semblent inventer leurs répliques au fur et à mesure qu’elles sortent de leurs bouches). Le bestiaire qui peuple le pays d’Oz (singes volants, fées aquatiques aux dents acérées, fermiers au bon cœur) est à mourir d’ennui.

Sam Raimi a réussi l’exploit de réaliser un film sans magie, sans fantaisie ni humour ; les excès de la direction artistique sont supposés palier le manque d’originalité du scénario, la faiblesse des dialogues et l’inconsistance de l’interprétation. Autant dire une tâche impossible, un poids trop lourd à porter pour des effets visuels fondamentalement rebutants.
Il semble presque stérile d’adresser des reproches au cinéaste dans la mesure où le film ne dépasse jamais le stade de pur produit de commande, et que l’idée même d’un regard artistique, d’une vision de réalisateur semble absurde face à un tel anonymat dans la mise en scène. "Oz" est tout à fait le genre d’exercice dont on peut dire, sans aucun doute ni aucune mauvaise conscience, que n’importe quel tâcheron hollywoodien aurait pu le réaliser. Le script ressemble à un condensé d’éléments disparates paresseusement glanés dans l’inconscient collectif et dans les contes de fées les plus rebattus : une pomme empoisonnée, un anthropomorphisme sans imagination et j’en passe.
Le film échoue car il n’a rien à proposer de solide au public, si ce n’est un florilège de lieux communs enlaidis par la surproduction dont ils sont victimes.

L’idéal serait que les studios américains qui financent ce type de projets (et, par extension, les réalisateurs qui sont engagés pour les mettre en images) réalisent un jour que l’effet spécial numérique entraîne une prise de distance immédiate de la part du spectateur et gâchent tout sentiment de féerie. Cette prise de conscience n’est pas prête d’arriver : "Oz" connaît un démarrage fulgurant au box-office US et une suite est déjà en chantier. On peut donc s’attendre très vite à de nouvelles guimauves de taille XXL confectionnées à partir de millions de dollars luxueusement gaspillés.
Frankoix
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le 14 mars 2013

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