LE SEIGNEUR DES ANNEAUX (III)
LE RETOUR DU ROI


Dans la troisième partie de son œuvre TOLKIEN met en scène la confrontation finale et décisive entre les forces de vie et de liberté et les forces de mort et d’asservissement. Au livre V c’est la figure d’Aragorn (en fait le futur roi) qui domine le récit. C’est Aragorn qui fédère toutes les forces de la Terre du Milieu hostiles au pouvoir de Sauron. C’est lui qui organise avec l’aide précieuse de Gandalf la résistance du Gondor à l’emprise du Mordor. Au livre VI c’est la figure de Frodon, le hobbit porteur de l’Anneau, qui domine le récit. Puis à partir du chapitre IV du même livre nous assistons aux joyeuses retrouvailles des membres de la communauté de l’Anneau. Retrouvailles bientôt suivies de nombreuses et nécessaires séparations. L’épopée monumentale de TOLKIEN s’achevant par un moment rempli d’une rare intensité et de beaucoup d’émotion : aux Havres gris, en bordure de la mer, Frodon et Gandalf quittent leurs amis de la Comté. C’est l’adieu poignant à Pippin, Merry et Sam. C’est sur un grand navire blanc que Frodon, une fois sa mission accomplie, s’embarque vers de nouveaux rivages, vers son destin.
Comme nous l’avons déjà fait pour les deux premières parties relevons maintenant quelques passages significatifs en consonance proche ou lointaine avec la vision chrétienne de l’univers.
- Gandalf : « Quant à la valeur, elle ne s’évalue pas d’après la taille. » (p.803). Denethor : « Il se voit une fois de plus que l’apparence peut tromper sur un Homme – ou un Semi- Homme. » (p.810). Nous retrouvons la même sagesse dans l’oracle du Seigneur à Samuel lors de l’élection du jeune David : « Oublie sa belle apparence et sa haute taille, je l’ai écarté (Eliab). Car Dieu ne voit pas les choses à la façon des hommes : l’homme s’arrête aux apparences mais Dieu regarde le cœur. » (1 Samuel 16, 7).
- Gandalf : « Le gouvernement d’aucun royaume ne m’appartient, pas plus celui du Gondor que d’aucun autre pays, grand ou petit. Mais toutes choses de valeur qui sont en danger dans le monde tel qu’il est à présent, voilà mon souci. Et pour ma part, je n’échouerai pas entièrement dans ma tache, même si le Gondor devait périr, si quelque chose franchit cette nuit, qui puisse encore croître en beauté ou porter de nouveau fleur et fruit dans les temps à venir. Car moi aussi, je suis un intendant. Ne le saviez-vous pas ? » (p. 813). En présence de Denethor Gandalf précise le cadre de sa mission et expose son espérance. Il ne recherche ni le pouvoir ni la domination. Il se veut le serviteur des choses de valeur en des temps particulièrement obscurs. Et son espérance le fait aller de l’avant malgré tous les obstacles qui se dressent à l’horizon.
- Merry le hobbit blesse le roi-sorcier, tué par Eowyn : « Soudain le Cavalier Noir tomba aussi en avant avec un cri de douleur aiguë, et son coup s’égara, s’enfonçant dans le sol. L’épée de Merry avait frappé par derrière ; elle avait fendu le manteau noir et, remontant sous le haubert, avait percé le tendon derrière son puissant genou. » (p. 901). Cet épisode totalement inattendu a un parfum de la victoire biblique de David sur Goliath.
- « Œuvre de l’Ennemi ! dit Gandalf. Il affectionne pareils faits ; l’ami en guerre contre l’ami ; la loyauté divisée dans la confusion des cœurs. » (p. 911). Pour la Bible l’Ennemi du genre humain c’est bien le diable, étymologiquement celui qui divise. Sa tactique est bien connue : Diviser pour mieux régner.
- « Vous n’avez pas d’autorité, Intendant de Gondor, pour ordonner l’heure de votre mort, répliqua Gandalf. Et seuls les rois païens, sous la domination de la Puissance Ténébreuse, le firent, se tuant dans leur orgueil et leur désespoir, et assassinant leurs proches pour faciliter leur propre mort. » (p. 913). La condamnation du suicide par Gandalf est intéressante (cf. En parallèle le cas du roi Saul qui demande à l’Amalécite de le tuer et la condamnation de ce geste par David. 1 Samuel 1, 6-10). Surtout l’argument qu’il donne à Denethor pour condamner cette pratique : c’est le propre des rois païens d’agir ainsi. Or le paganisme se comprend généralement par opposition au christianisme qui lui a succédé. Dans Le Seigneur des Anneaux le vocabulaire caractéristique du christianisme est absent. On devine alors que si les mots n’y sont pas, la réalité, elle, s’y trouve partiellement à travers les grandes valeurs du message évangélique et les idéaux chevaleresques, comme par exemple le respect absolu de la vie, qui vient de plus loin, de plus haut que nous. Le « christianisme » que l’on peut trouver en filigrane dans l’œuvre de TOLKIEN se situe résolument du coté des valeurs humaines et morales, et non pas du coté mystique, c’est-à-dire de la relation avec Dieu dans l’adoration, la prière et le culte. Dieu (à l’instar des dieux) est totalement absent de l’univers créé par TOLKIEN.
- « La victoire ne peut être atteinte par les armes. » (p.938). Cette affirmation de Gandalf scande tout le chapitre IX du livre V (La dernière délibération) à la manière d’un refrain. Voir aussi les pages 939 et 940. Plus loin Frodon fera le même constat : « Ce n’est pas en combattant que nous obtiendrons le passage. » (p.979). Comment ne pas penser ici au Psaume 32 ? « Le salut d’un roi n’est pas dans son armée, ni la victoire d’un guerrier, dans sa force. Illusion que des chevaux pour la victoire : une armée ne donne pas le salut. » Dans ce même chapitre Aragorn souligne que la victoire ne réside pas dans de bonnes fortifications : « Les hommes valent mieux que des portes, et aucune de celles-ci ne résistera à notre Ennemi si les hommes la désertent. » (p.942).
- Au chapitre X (La porte noire s’ouvre) du livre V Aragorn, saisi de pitié devant la peur d’une partie de ses troupes, renvoie les hommes qui le désirent : « Aragorn regarda ces hommes, et il y avait dans ses yeux plus de pitié que de colère ; car c’étaient des jeunes hommes de Rohan, du lointain Ouestfolde ou des agriculteurs du Lossarnach, et pour eux le Mordor était depuis leur enfance un nom maléfique, tout en étant quelque chose d'irréel, une légende qui n'avait aucune part à leur vie simple ; et à présent, ils marchaient comme des hommes d’un hideux rêve devenu réalité, et ils ne comprenaient pas cette guerre ni la raison pour laquelle le destin les menait à une telle passe. ‘Partez ! dit Aragorn. Mais conservez ce que vous pourrez d’honneur et ne courez pas ! Et il y a une tache à laquelle vous pouvez vous efforcer et ainsi vous sauver un peu de la honte. Allez vers le sud-ouest jusqu’à Cair Andros et au cas où celle-ci serait encore tenue par les ennemis, comme je le pense, reprenez-la, si vous le pouvez ; et tenez-la jusqu’au bout pour la défense de Gondor et du Rohan. Alors, certains, mortifiés de sa pitié, dominèrent leur peur et continuèrent ; tandis que les autres reprirent espoir à la suggestion d’un acte de vaillance à leur mesure, et ils partirent avec ce sentiment. Et ainsi, bon nombre d’hommes ayant déjà été laissés au Carrefour, ce fut avec moins de six mille hommes que les Capitaines de l’Ouest finirent par arriver pour défier la Porte Noire et la puissance du Mordor. » (p.946.947). Même si la motivation profonde est différente, cet épisode peut évoquer Gédéon qui, dans le livre des Juges (chapitre 7), renvoie sur l’ordre du Seigneur une partie de ses hommes dans leur foyer avant de livrer le combat contre Madian.
- Au chapitre premier (La Tour de Cirith Ungol) du livre VI Frodon parle à Sam de l’origine des Orques : « L’Ombre qui les a produits peut seulement imiter, elle ne peut fabriquer : pas de choses vraiment nouvelles, qui lui soient propres. Je ne crois pas qu’elle ait donné naissance aux Orques ; elle n’a fait que les abîmer et les dénaturer ; et pour vivre ils doivent faire comme toutes les autres créatures vivantes. Ils prendront des eaux et des viandes immondes, s’ils ne peuvent en trouver de meilleures, mais pas du poison. Ils m’ont nourri, de sorte que je suis mieux en point que toi. Il doit y avoir quelque part ici de la nourriture et de l’eau. » (p.975). Le pouvoir de l’Ennemi est donc limité. Il ne peut être Créateur. Il est plutôt celui qui singe l’acte créateur, celui qui défigure les créatures en les asservissant pour mieux parvenir à ses fins : la domination absolue et le pouvoir tyrannique. C’est Morgoth (dont Sauron était le lieutenant) qui a « créé » les Orques à partir d’Elfes torturés et corrompus, ce qui, d’après Tolkien, fut la chose la plus malfaisante qu’il ait faite.
- L’univers cauchemardesque et concentrationnaire du Mordor est décrit de manière frappante par TOLKIEN : « Frodon et Sam contemplèrent cet odieux pays avec un mélange de dégoût et d’étonnement. Entre eux et la montagne fumante et autour d’elle au nord et au sud, tout paraissait ruine et mort : un désert brûlé et suffoqué. Ils se demandaient comment le Seigneur de ce Royaume entretenait et nourrissait ses esclaves et ses armées. Aussi loin que portait le regard, à la périphérie du Morgai et vers le sud, il y avait des camps, certains de tentes, d’autres ordonnés comme de petites villes. L’un des plus grands de ceux-ci se trouvait juste sous eux. Il était ramassé à un mille à peine dans la plaine comme un grand nid d’insectes, avec des rues droites et mornes de baraquements et de longs bâtiments gris. Des gens affairés allaient et venaient alentour ; une large route en partait en direction du sud-est pour rejoindre celle de Morgul, et l’on y voyait se hâter de nombreuses files de petites formes noires. » (p.985). Saroumane (devenu Sharcoux) chassé de son domaine par les Ents commet son ultime méfait en transformant la Comté des hobbits en un vaste camp de concentration, régi par d’innombrables interdits et par des règles toutes plus arbitraires les unes que les autres. La description d’ Hobittebourg parle d’elle-même : « Comme, traversant le pont, ils levaient le regard vers la colline, ils eurent le souffle coupé.[…] La Vieille Grange de la rive ouest avait été jetée bas et remplacée par des rangées de baraques goudronnées. Tous les châtaigniers avaient disparu. Les berges et les bordures de haies étaient défoncées. De grands camions couvraient en désordre un champ battu, où il n’y avait plus trace d’herbe. Le Chemin des Trous du Talus n’était plus qu’une carrière de sable et de gravier. Au-delà, Cul de Sac était caché par un entassement de grandes cabanes. ‘Ils l’ont coupé ! s’écria Sam. Ils ont abattu l’arbre de la fête !’ Il désignait l’endroit où s’était élevé l’arbre sous lequel Bilbon avait prononcé son Discours d'Adieu. Il gisait ébranché et mort dans le champ. Comme si ç’avait été le comble de l’abomination, Sam fondit en larmes. » (pp.1082.1083).
- Au chapitre III (La Montagne du destin) du livre VI deux détails retiendront notre attention. Le premier concerne le pain des Elfes : « Ce pain de voyage des Elfes (ou lembas) avait cependant un pouvoir qui s’accroissait quand les voyageurs s’en remettaient à lui seul, sans le mêler à d’autres aliments. Il nourrissait la volonté et donnait une force d’endurance, ainsi qu’une maîtrise des nerfs et des membres dépassant celle des simples mortels. » (p.998). Un lointain rapprochement pourrait être effectué avec la geste d’Elie : « Il mangea et il but. Réconforté par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb. » (1 Rois 19, 8). Le second concerne Frodon au bout de ses forces et complètement épuisé par la longue et dangereuse mission qui l’a mené aux pieds de la Montagne du destin : « A leur dernière halte, il se laissa tomber à terre et dit : ‘J’ai soif, Sam !’, et il ne parla plus. » (p.1001). Pour le lecteur connaissant le contexte du chapitre il n’est pas exagéré de parler ici de la Passion de Frodon. En poursuivant l’analogie nous comprenons que sa croix c’est l’Anneau : « Frodon n’avait pas parlé de toute cette dernière journée ; il avait marché à demi courbé, trébuchant souvent, comme si ses yeux ne voyaient plus la route devant ses pieds. Sam devinait que de toutes leurs souffrances il endurait la pire, le poids croissant de l’Anneau, fardeau pour le corps et tourment pour l’esprit. » (p.998).
Confronté à l’extrême fatigue physique et morale de Frodon, Sam ne se décourage pas. Ne pouvant porter l’anneau lui-même, il se décide à porter le porteur de l’anneau : « Allons, Monsieur Frodon ! Cria-t-il. Si je ne peux pas le (= l’anneau) porter pour vous, je peux vous porter, vous, et lui en même temps. Alors debout ! Allons, cher Monsieur Frodon ! Sam va vous offrir une petite promenade. Dites-lui seulement où aller, et il ira. » (p. 1003). Sam est ici un peu le Simon de Cyrène de son Maître et ami Frodon. Les Evangiles synoptiques nous racontent comment un certain Simon de Cyrène a aidé Jésus à porter sa croix sur le chemin du Golgotha (par exemple : Matthieu 27,32). La suite du récit de Tolkien mérite d’être mentionnée : « Comme Frodon s’accrochait à son dos, les bras lâchement passés autour de son cou, les jambes fermement serrées sous ses bras, Sam se remit sur ses pieds en chancelant ; et alors, à son grand étonnement, le fardeau lui parut léger. » (p. 1003). Comment ne pas penser ici à Matthieu 11, 28-30 ? « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. »
- Au début du chapitre VII (Retour vers le pays) du livre VI nous pouvons lire : « Souffrez-vous, Frodon ? lui demanda doucement Gandalf, qui chevauchait à son coté. Oui, dit Frodon. C’est mon épaule. La blessure m’élance et le souvenir de l’obscurité me pèse. C’était il y a un an aujourd’hui. Hélas ! il est des blessures que l’on ne peut entièrement guérir, dit Gandalf. Je crains qu’il n’en soit ainsi de la mienne, dit Frodon. Il n’y a pas de véritable retour. Même si j’arrive à la Comté, elle ne paraîtra plus la même ; car je ne serai pas le même. J’ai été blessé par poignard, piqûre et dent, et par un long fardeau. Où trouverai-je le repos ? Gandalf ne répondit rien. » (p.1054). De ce bref dialogue entre Gandalf et Frodon en route vers la Comté nous pouvons retenir deux choses : Tout d’abord Frodon portera toute sa vie les stigmates de ses souffrances physiques et morales. Ensuite l’aventure dans laquelle il a été entraîné en tant que porteur de l’Anneau l’a transformé profondément ainsi que sa perception des choses : « Je ne serai pas le même. » Frodon a perdu le caractère quelque peu naïf et innocent propre aux hobbits pour gagner en maturité et en force à travers les épreuves rencontrées jusqu’à la montagne du destin.
- Au chapitre VIII (Le nettoyage de la Comté) du livre VI Frodon apparaît vraiment comme le pacifique, celui qui refuse toute forme de tuerie et de vengeance. C’est un premier aspect de sa noblesse de caractère. « Combattre ? dit Frodon. Eh bien, je suppose que les choses pourront en arriver là. Mais rappelle-toi Pippin : il ne doit y avoir aucune tuerie de hobbits, même s’ils ont passé à l’autre bord. Vraiment l’autre bord, je veux dire : pas seulement obéi aux ordres des bandits parce qu’ils ont peur. Aucun hobbit n’en a jamais tué un autre exprès dans la Comté, et cela ne doit pas commencer maintenant. Et personne du tout ne doit être tué si cela peut être évité. Gardez votre sang-froid, et retenez vos mains jusqu’au dernier moment possible ! » (p.1072). Au lendemain de la seconde guerre mondiale en France tous les résistants n’ont pas eu cette grandeur d’âme envers leurs compatriotes collaborateurs… « Tout de même, dit Frodon, à tous ceux qui se trouvaient autour de lui, j’aimerais qu’il n’y ait pas de tuerie ; pas même des bandits, à moins que ce ne soit nécessaire pour les empêcher de faire du mal à des hobbits. » (p.1075). « Frodon avait été dans la bataille, mais il n’avait pas tiré l’épée, et son rôle principal avait été d’empêcher les hobbits de mettre à mort, dans la colère suscitée par leurs pertes, ceux des ennemis qui avaient jeté leurs armes. » (p.1082).
- Un second aspect de la noblesse de caractère de Frodon se retrouve dans la vertu de clémence et de miséricorde. Dans le même chapitre (VIII) Frodon exerce cette clémence envers Saroumane dans l’espoir qu’il puisse changer de cœur et s’améliorer : « Je ne veux pas qu’il soit tué. Il ne sert à rien de répondre à la vengeance par la vengeance : cela ne guérira rien. Partez, Saroumane, par le chemin le plus court ! […] Non, Sam ! dit Frodon. Ne le tue pas, même maintenant. Et de toute façon, je ne veux pas qu’il soit mis à mort dans ce mauvais état d’âme. Il fut grand, d’une noble espèce sur laquelle on ne devrait pas oser lever la main. Il est tombé, et sa guérison nous dépasse ; mais je voudrais encore l’épargner dans l’espoir qu’il puisse la trouver. » (p.1085). Ici encore on peut penser à un passage biblique célèbre dans lequel David persécuté injustement par le roi Saul refuse de le tuer alors qu’il en a l’occasion. L’argument donné par David à Abisai est bien proche de celui utilisé par Frodon pour stopper la main de Sam : « David répondit à Abisai : « Ne le tue pas ! Peux-tu porter la main sur celui que le Seigneur a consacré, et rester impuni ? David dit encore : Aussi vrai que le Seigneur est vivant, c’est le Seigneur lui-même qui le frappera ; ou bien il mourra parce que ce sera son jour, ou bien il ira au combat et il y restera. Mais je ne porterai pas la main sur celui que le Seigneur a consacré. » (1 Samuel 26, 9-11). cf. aussi 2 Samuel 1, 14. Dans Le Seigneur des Anneaux la clémence envers des personnages malfaisants et nuisibles se retrouve aussi plusieurs fois à propos de Sméagol / Gollum. Bilbon aurait pu le tuer ; Frodon et Sam ont eu de nombreuses occasions de s’en débarrasser à jamais, mais ils ne l’ont pas fait. Non seulement des occasions, mais même de sérieux motifs… Or c’est bien Sméagol qui a servi de guide à Frodon et à Sam lors de la traversée des marais (chapitre II du livre IV), même si son intention était loin d’être pure et désintéressée… (cf. L’antre d’Arachne, chapitre IX du livre IV). Sans cette créature ambiguë et pitoyable le porteur de l’Anneau n’aurait pas pu accomplir sa mission. Frodon, comme nous l’avons fait remarquer à plusieurs reprises déjà, peut être assimilé à une figure christique, au Sauveur. Mais une fois parvenu au terme de sa mission dans la montagne du destin (chapitre III, livre VI) il s’écarte considérablement par son choix final de toute typologie christique ou même simplement héroïque. Il cède à l’ultime tentation, au pouvoir même de Sauron qu’il est censé combattre, reproduisant ainsi l’attitude de Boromir : « Je suis arrivé, dit Frodon. Mais il ne me plait pas, maintenant, de faire ce pour quoi je suis venu. Je n’accomplirai pas cet acte. L’Anneau est à moi ! Et soudain, comme il le passait à son doigt, il s’évanouit à la vue de Sam. » (p.1008). Qui va permettre, à son insu, que la mission de Frodon puisse tout de même aboutir malgré cette faiblesse du hobbit ? C’est Gollum, cette créature répugnante et mauvaise, qui, en prenant par la force l’Anneau à Frodon, tombe dans les profondeurs de la Montagne du destin avec l’Anneau, son Trésor. Ce faisant il anéantit par sa mort le pouvoir de Sauron et du Mordor. Ainsi s’accomplissent les paroles de Gandalf : « Même Gollum peut encore avoir quelque chose à faire. » (p.1010). TOLKIEN souligne à quel point la clémence, la miséricorde et le pardon sont toujours profitables à ceux qui l’exercent envers leurs ennemis.
- « Frodon se retira doucement de toutes les activités de la Comté, et Sam remarqua avec peine le peu d’honneur qui lui était rendu dans son propre pays. Rares étaient ceux qui connaissaient ou désiraient connaître ses exploits et ses aventures ; leur admiration et leur respect allaient surtout à M. Meriadoc et à M. Peregrin, et (Sam n’en savait rien) à lui-même. » (p.1092). Frodon, comme Jésus, lorsqu’il retourne chez les siens ne rencontre que l’indifférence et l’ingratitude. « Le seul endroit où l’on ne reconnaît pas un prophète, c’est dans sa patrie et dans sa famille. » Matthieu 13,57.
- En guise de conclusion je citerai l’extrait d’une lettre de Tolkien adressée à Robert Murray : « Le Seigneur des Anneaux est une œuvre fondamentalement religieuse et catholique, inconsciemment d’abord mais consciemment quand j’en ai fait la révision » (L 142).

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le 3 févr. 2016

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