"You know somethin', Utivich ? I think this just might be my masterpiece."

Pour contextualiser un peu la chose, j'ai toujours trouvé que Jacky Brown était son film le mieux maîtrisé, que la scène du bar de Basterds était son chef d'oeuvre et Kill Bill est mon préféré (en plus d'être mon film préféré, avec Barry Lyndon).


Un peu à la manière de Fincher, il est indéniable que tous ses films sont jouissifs mais sa filmographie a connu un tournant dans les années 2000. Si pour Fincher, ce tournant était Zodiac, pour QT, c'était Basterds.


On y découvrait un style plus maîtrisé, plus "académique" (dans le bon sens du terme). Surtout, on découvrait un QT plus adulte. Plus calme. Moins d'hectolitres de sang et de conversations entre adolescents voulant savoir qui a massé le plus de pieds.


Je ne dis pas que ses premiers films étaient moins bons, attention. Je suis un immense fan de tous ses films et vais meme à parler de perfection pour certains d'entre eux. Comme je l'ai dit plus haut, je trouve que Jacky Brown était son film le mieux maîtrisé. Mais il est indéniable qu'en 2009, QT nous est revenu adulte.


Avec cette maturité est arrivée un classicisme, un style plus affirmé, mais aussi un problème de rythme. Aujourd'hui encore, j'affirme que le chapitre 3 amoindrit Basterds et que la performance des Français de ce chapitre empêche le métrage d'être le chef d'oeuvre que QT pense avoir fait. Il a d'ailleurs déclaré récemment que c'était son meilleur film.


On trouve la même baisse de rythme, quasiment au même moment (les deux films se ressemblent), dans Django, qui lui souffre également d'un héros éclipsé par deux performances dantesques. Si on ne se rend compte que bien trop tard que le héros est Django et le véritable méchant Stephen, c'est parce que le film s'attarde beaucoup trop sur l'affrontement entre Candie et Schultz. Pour autant, jamais un Tarantino n'avait été aussi bien réalisé, avait connu une si belle photographie et une mise en scène aussi brillante et intelligente. L'affrontement final est un modèle du genre et je pourrais continuer ce roman juste à analyser cette scène. Véritable allégorie du film qui fait définitivement passer QT du côté des réalisateurs kiffants à celui des réalisateurs qui marquent l'histoire du cinéma.


Maintenant. Si on continue de considérer que la scène du bar de Basterds, l'un de mes moments de Cinema préférés, tous films et époques confondus, est son plus grand travail, qu'est-ce qui se passerait si cette scène durait 3h ?


The H8ful se passerait.


Sans vouloir parler de l'exceptionnel 70mm qui mérite à lui seul pas mal d'Oscars (c'est ce qu'il vise depuis 6 ans, faut dire), le film s'efforce d'entrée de nous donner l'impression que chaque ligne de dialogue a pris 6 mois à être écrite.


Malgré un générique de début gâchant quelques surprises du film, le film commence immédiatement en trombe. Il ne prend pas son temps pour atteindre doucement son climax, il ne nous ménage pas. Pendant 3h, on a un rythme exceptionnel, d'une intensité tout bonnement hallucinante.


Et jamais, au grand jamais, le film ne faiblit.


QT réussit l'exploit de mettre un background à pas moins de 8 personnages. 8. 8. Quand certains n'arrivent pas à bien écrire un seul personnage, QT nous donne l'impression d'avoir écrit 8 histoires avant de faire se croiser ces 8 histoires.


Le film pourrait connaitre pas moins de 5 spin-off sans que ça semble forcé. Voilà à quel point le film est bien écrit.


Évidemment, c'était déjà le cas dans ses précédents. Notamment Basterds. D'où vient la cicatrice de Aldo Rain ? Qu'est-ce qu'il sniffe ? Quels sont les noms écrits sur la batte de l'Ours Juif ? (Réponse dans une BD) Comment Shoshanna a survécu ? Et pour Django, qui est ce King Schultz ? Est-ce bien son histoire qu'est chantée ? Etc.


Le souci du détail qu'applique QT à ses histoires n'est rien d'autre qu'edifiant. Mais encore une fois, ça n'a jamais été aussi poussé qu'ici.


Inutile, aussi, de préciser qu'on redécouvre ces acteurs dont certains s'offrent par la même occasion une nouvelle carrière à venir avec ce film. C'est une évidence. QT sait diriger ses acteurs. Ce film n'est pas une exception. On aime ces Salopards. On les déteste. À tour de rôle. Un seul des huit restera en retrait par rapport aux autres.


J'ai dit que je ne voulais pas parler du 70, mais c'est assez difficile en fait, tant le film nous offre des plans d'une beauté divine. Lorsque la neige pénètre la cabane, difficile de ne pas être émerveillé. Lorsque le décor enneigé est visible au travers d'une fenêtre teintée de rose, difficile de ne pas être émerveillé. Lorsque QT continue à utiliser le surcadrage qu'il a commencé à utiliser avec ce plan exceptionnel d'Hans Landa contemplant la plaine où Shoshanna s'enfuit, difficile de ne pas être émerveillé.


Mais là où l'émerveillement est total, c'est bien sûr dans ces longs plans (voire plans séquences) d'une fluidité surprenante vu le matériel utilisé. Quand Inherent Vice est sorti, j'avais parlé du film en comparant ses plans séquences "utiles" à ceux "pour la frime", notamment les précédents de PTA qui étaient pour la frime. Les plans séquences d'Inherent Vice sont intelligents cinématographiquement parlant dans le sens où ils appuient le propos de leurs scènes. L'un des plus importants du film, si ce n'est le plus important (et plus beau) décuple l'érotisme de la scène et permet de suspendre le temps. Ce qui est tout le propos de la scène. La forme sert le fond. Quand PTA faisait des plans séquences dans Boogie Nights, seulement le dernier d'entre eux (et quelle scène !!!) était cinématographiquement pertinent. Les autres, bien que démontrant une maîtrise exceptionnelle, étaient pour la frime. Oui, un plan séquence, quand c'est réussi, c'est beau. Mais quand c'est pertinent, ça l'est davantage.


Revenons donc à H8ful. Je m'efforce à ne pas être insolent, mais un plan séquence - justement utile - de H8ful m'a arraché une demi-molle. Et je pèse mes mots. Mais je m'arrête là, pour ne pas trop en dire.


Quant à Ennio Morricone... Qu'il est bon de le retrouver. Ses premières notes donnent le La. L'ambiance va être pesante, ce huis-clos va être insoutenable. Morricone signe là une bande originale bien plus proche des standards des films d'horreur que ceux des westerns. J'avais peur que sa musique soit anecdotique. Elle ne l'est pas. Jamais.


Je sais à quoi ça ressemble. Ça ressemble à moi m'enflammant encore avant de redescendre dans quelques temps. Ça fait plusieurs heures que je ne fais que réfléchir au film et que je ne fais que réfléchir pour trouver des défauts. Je me dis qu'il ne peut pas être parfait comme Kill Bill ou Jacky Brown, que ce n'est pas possible. Et même là, alors que j'écris ce roman à 2h du mat avec très peu de sommeil et le tout sur mon iPhone, je cherche des défauts. Et peut-être je finirai par trouver un défaut par ci, par là. Mais j'en doute. Là, tout de suite, ça me paraît inconcevable.


Alors je vais essayer de faire court pour résumer la conclusion à laquelle j'en suis arrivé après avoir réfléchi à ce sujet : The H8ful est le meilleur film de QT. Rien de moins.


Un chef d'œuvre, une œuvre majeure du Cinema, une date à marquer sur les livres d'histoire comme étant celle où le caprice d'un réalisateur mégalo s'est montré pertinent et juste.


Je ne parle pas seulement du 70, mais du film entier. QT ne voulant plus faire le film avant de se raviser. QT voulant absolument Morricone. QT voulant faire un huis-clos de 3h.


Je ne trouve rien à redire. C'est très rare. Ça ne m'est pas arrivé depuis des années. Mais je n'ai strictement rien à redire sur ce film.


Merci QT. C'etait une expérience unique, que je ne revivrai probablement plus jamais de ma vie, que j'aurais difficilement pu mieux vivre. Tu as inspiré toute une génération de nouveaux réalisateurs et avec ce film, tu en inspireras d'autres. Ça fait plusieurs semaines que j'ai peur, comme à chaque fois depuis 2009, que ce film signe la fin de ta carrière. Avec tous les problèmes que tu as connus et que tu connais encore à propos de ce film, j'ai plus peur que jamais de ne plus connaitre le bonheur de découvrir un de tes films. De ne plus connaitre les mois, puis les semaines, puis les jours, qui sépareraient l'annonce d'un nouveau film de la sortie de celui-ci. Le Cinema y perdrait beaucoup, et j'y perdrais énormément, car aucun autre aujourd'hui ne me transporte autant que toi. Aucun. Pas PTA. Pas les Coen. Aucun.


À très vite, j'espère.

WallydBecharef
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le 1 janv. 2016

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Wallyd Becharef

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