Le mariage de Tintin et Spielberg (fan depuis longtemps du jeune reporter aux pantalons de golf), où plutôt d’Hergé et Hollywood, c’est pour le meilleur (un peu) comme pour le pire (pas mal). Ça promettait beaucoup, mais c’est bluffant cinq minutes (la première apparition de Tintin laisse bouche bée), puis emmerdant tout le reste. Passé l’émerveillement initial de la performance capture appliquée sans pitié aux héros d’Hergé (oh la zolie houppette ! Oh les zolies textures ! Oh les zolies couleurs partout !), l’histoire a vite fait de traîner la patte, aussi engourdie que ces finauds Dupond et Dupont. Non pas qu’elle trahisse totalement l’esprit d’Hergé, mixant et remaniant à sa sauce Le crabe aux pinces d’or, Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le rouge, mais quitte à trahir, autant le faire avec classe et avec intelligence, tout ce qui manque finalement à ce machin plus proche d’un jeu vidéo infernal que d’une œuvre cherchant à honorer avec révérence un univers délicieusement rétro et familier.

Et puisqu’il est admis que l’on s’ennuie la plupart du temps, l’esprit (mal tourné) divague, repense avec nostalgie aux meilleurs albums dans lesquels il pourra se replonger avec délice (Les cigares du pharaon, L’affaire Tournesol, Les bijoux de la Castafiore…), imagine soudain des trucs plus subversifs (Tintin un déviant, vous y croyez ?) et parie sur cet instant propice où Tintin et Haddock (quand même l’un des couples crypto-gay les plus célèbres de la planète) vont enfin s’embrasser dans une des cales moites du Karaboudjan. Au moins chez Hergé, la linéarité des intrigues allait de soi et n’agaçait pas, laissant déborder l’imagination du lecteur (de 7 à 77 ans) hors des cases et de sa célèbre ligne claire.

Rien de cela chez Spielberg où, à l’instar d’un Hook de triste mémoire et de triste composition, tout se retrouve formaté, boursouflé, surligné (le combat de grues reprenant le combat à l’épée entre Haddock et Rackham, d’une finesse à toute épreuve…) et excessif (le numéro de voltige ridicule d'Haddock sur l'hydravion en pleine tempête du siècle, la poursuite interminable à Bagghar ou encore Haddock qui rote de l’alcool pour redémarrer un moteur d’avion : ça dure dix secondes à l’écran, mais c’est assez représentatif du travail bâclé que sont les enjeux scénaristiques du film). Spielberg se noie sous un déluge d’effets virevoltants, impressionnants mais vains (l’abordage titanesque des deux bateaux pirates transformé en mauvaise attraction de parc à thèmes), spectaculaires à tout prix (et contradictoires finalement avec la sobriété d’action des BD), rendant presque impersonnelle sa "mise en scène" dont on a la désagréable impression qu’elle a été pensée uniquement par une batterie de processeurs fous tentant tous les placements et déplacements possibles de caméra.

De péripéties en nouvelles péripéties en nouvelles autres péripéties (ad nauseam), l’intrigue ne prend que rarement le temps pour se poser, métamorphosée en une démo de presque deux heures d’une PlayStation qui tournerait en boucle et à vide. Passé à la moulinette numérique et hollywoodienne, "Tinetine" n’est plus qu’un action hero sans âme, un algorithme informatique primaire dont les pixels se seraient emballés. Et pour ceux qui ont grandi avec les personnages croqués en trois coups de crayon harmonieux, limpides, lisant et relisant les albums d’Hergé sans la moindre lassitude, ceux en images de synthèse ont du mal à émouvoir, à être tout simplement attachants malgré l’implication des acteurs derrière les capteurs (Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig…). Entre un aspect assez rustaud (les gros nez, sauf pour Tintin, un Milou qu’on dirait empaillé, une Castafiore qu’on dirait liftée…) et un souci de réalisme pointu, l’amalgame est du coup assez étrange, peu engageant.

Tout le contraire de chez Pixar par exemple, où l’on peut s’attendrir en quelques secondes d’une petite fille espiègle ou d’un dinosaure en plastique, les personnages n’ayant aucun antécédent culturel, aucune implication emblématique (mais acquise a posteriori par la force du succès), "vierges" de tout ancrage populaire propre à une histoire, à un continent et à une période. On aurait voulu que l’enfant/adolescent que nous étions alors, et se passionnant encore aujourd’hui pour les aventures du reporter globe-trotter (qu’il se surprend parfois à redécouvrir sous les couvertures), retrouve justement ce sentiment d’affinités, de maturité (dans les situations, dans l’humour) et de précision (dans le rendu, dans les intentions). Ce Tintin-là, pâle marionnette infographique perdue dans les trépidations rarement jouissives d’un scénario indigeste, n’a qu’une virtuosité inutile et fantomatique (pétaradante ? Décoiffante ? Ahh ! Je ris…) à offrir à un public infantilisé.
mymp
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le 13 nov. 2012

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mymp

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