Attention, ce texte contient quelques SPOILS mineurs.

Grandement refroidi par la bande-annonce il y a quelques semaines, tant sur le fond que la forme, la curiosité a néanmoins fini par prendre le dessus.
Bravant un agenda chargé et une foule compacte, j'affrontai donc hier soir Tintin.

J'étais plein de bonnes résolutions.
Un américain s'intéressant à la culture du vieux continent méritait un peu d'indulgence, même si personne ne l'obligeait à s'attaquer à un tel monument que Tintin.
Mais si je m'en étais tenu à l'état d'esprit initial, j'aurais mis les pieds dans la salle en ayant au mieux à concéder à Spielberg l'exploit de ne pas avoir TROP dénaturé l'oeuvre d'Hergé.
J'ai donc changé mon fusil d'épaule, décidant de relever mon niveau de tolérance avant que de rentrer dans l'arène.

Ça n'a pas suffi.
C'était même très loin du compte.

L'histoire entre Tintin et moi avait pourtant pas trop mal commencé une fois dans la salle.
Excluons d'emblée la musique. Tour à tour insipide, agaçante, envahissante, à presque aucun moment elle ne se mettra au service des scènes qu'elle serait supposée habiller, et ceci se vérifie tout particulièrement dès le générique, de loin le pire exemple en la matière.
Générique par ailleurs intéressant, puis premiers plans en hommage sincère avec un clin d'oeil au célèbre dessinateur belge (je n'en dis pas davantage).
Vient la scène d'introduction proprement dite, dans le marché où Tintin va découvrir la maquette de la Licorne.
Dans le parler comme dans l'ambiance, "franchouillards" pour ainsi dire (avec une pointe de chauvinisme donc), j'ai entrevu le Graal : qu'un film ait su capter l'ambiance de ces bandes dessinées qui font partie de notre culture au sens large, de l'inconscient collectif comme on dit. Le patrimoine franco-belge.

Visuellement je ne vois rien à redire, ou si peu.
Les choix graphiques ne sont pas forcément toujours à mon goût, mais le film est très léché et il y a une affirmation louable dans l'identité donnée aux lieux comme aux personnages.
J'applaudis la prise de risque, sans hésiter.
La technique est maîtrisée à la perfection, l'animation fluide.
Torpenn dira forcément que c'est moche mais on s'en fiche, de toute façon si il voit ce film un jour, une crise cardiaque foudroyante l'emportera dans l'heure.
Bref, l'espoir était permis.

Un espoir très fugace malheureusement.
Rapidement (et ce sera le maître mot de ce "Tintin" très orienté action), on pose pied, puis mollet, puis jambe et tout le reste dans un tourbillon qui s'engage dès l'appartement du jeune reporter, et ne cessera plus jusqu'au clap de fin.
En un crescendo insupportable, vont s'amonceller une quantité ahurissante de situations, actions, combats qui ne laisseront jamais au spectateur le temps de souffler.
Comprenons-nous bien, Tintin est à n'en pas douter truffé d'Aventure, avec un grand A, mais sa force vient aussi d'un subtil équilibre avec des aspects tournant davantage autour de l'intrigue, du climat entourant l'enquête et les protagonistes.
Ici, rien de tout cela.
Mariage contre-nature entre ce que Spielberg n'a pas pu placer dans Indy 4, les cascades clownesques d'un Rush Hour (par exemple) et le combat naval de l'ancêtre Haddock sauce Pirates des Caraïbes, on n'a de cesse de lever les yeux au ciel, soupirer, grommeler et autres facepalms en tout genre.
Ma voisine m'a informé que j'étais resté de longues minutes bouche bée, incrédule devant l'horreur se déroulant sous mes yeux. Je la crois sans peine.

Rendu environ à la moitié du film, une idée m'est venue.
Et si j'excluais le fait que ce soit Tintin justement ?
Que vaut le film si on le prend comme un actioner classique, un pur moment de divertissement, et non le massacre organisé de tout un pan de l'héritage culturel commun à plusieurs générations ?
Eh bien même ainsi, ce n'est pas brillant.
La densité des éléments que Spielberg a tenu à introduire, sans doute afin de rassurer sur sa maîtrise du sujet, donne lieu à un enchaînement chaotique des scènes.
Le fil rouge est bien là, mais la trop grande diversité des lieux et des contextes (puisque tirés de trop nombreux albums pour un seul film) rend l'ensemble brouillon, pas forcément très compréhensible et en tout cas peu crédible en matière de transitions.

En outre le burlesque est là, tout comme dans les albums bien entendu, mais à des moments totalement inopportuns.
Une illustration parfaite en sont ces inspecteurs Dupont et Dupond.
Exit les siamois, parfaits miroirs jusque dans leurs chutes et dialogues.
Lorsque l'un tombe dans les escaliers, on attend vainement l'arrivée de l'autre. Incompréhension totale de ma part.
Lorsque l'un parle, l'autre ne finit pas la phrase. Choc.
Le comique de répétition est sans doute presque aussi vieux que l'humanité, aussi efficace que facile à mettre en place. Pourquoi le bouder ? Pourquoi, alors même que cela est une constituante essentielle de l'oeuvre originelle ?

À l'inverse, dans des séquences à vraie intensité dramatique, Spielberg introduit des éléments comiques en complet décalage, étouffant dans l'oeuf la moindre vélléité de sérieux.
Un avion menace de se crasher faute de carburant, risquant au pire de tuer nos deux héros, au mieux de les laisser sans une goutte d'eau au beau milieu du désert (pour le peu de différence que cela fait...) ?
Qu'à cela ne tienne, le Capitaine Haddock va héroïquement aller roter (oui oui, roter) dans le carburateur afin de relancer le moteur grâce aux vapeurs d'alcool de son haleine.
Après le crash, son parachute s'enroulera autour de l'hélice, le faisant ridiculement tourner dans les airs avant d'atterir le cul dans le sable.
Pathétiques l'un comme l'autre, dignes d'un American Pie ou, comme je le disais plus haut, d'un Rush Hour.

Le non-respect de l'image de Tintin ne s'arrête pas là.
Un Tintin érudit qui sait d'un coup d'oeil repérer les moindres détails et connaître toute l'histoire de la maquette de la Licorne.
Un Tintin narcissique qui collectionne les coupures de presse décrivant ses propres exploits.
Un Tintin adepte du Ju-jitsu qui pourra d'un coup de pied bien placé péter le genou d'un adversaire après lui avoir fait un Uchi Gari du plus bel effet.
Un Tintin fréquemment arme au poing et tirant des chargeurs entiers sur ses ennemis.

Bref, pas vraiment le garçon assez simple, discret, adepte de la non-violence et refusant l'usage des armes sauf en dernier recours absolu que l'on connaît tous.

Je pourrais encore ajouter quelques boulets aux pieds du Tintin de Spielberg, si cela changeait la moindre chose à la noyade tragique à laquelle on assiste.
La Castafiore brisant de sa voix une vitre anti-balles (même si ce point est sans doute celui trahissant le moins l'esprit de la BD).
Un épique... combat de grues sur les docks.
Une poursuite en side-car interminablement, invraisemblablement et irrémédiablement pénible, qui n'apporte pas la moindre chose à l'histoire, et ne présente que peu d'intérêt au niveau spectacle, même si l'on cherche à se focaliser sur l'action uniquement.
Un Milou en-dessous de tout.
Plus rien à voir avec la peluche que l'on a envie de câliner, sublimée par le trait de Hergé.
Plus grand-chose du compagnon fidèle, émouvant.
Un chien-savant, bien dressé et intelligent, voilà tout.

Pour conclure, je tiens à expliquer pourquoi cette note, alors même que je concède des qualités techniques au film.
J'accorde une grande importance à l'intention de l'artiste lorsqu'il réalise son oeuvre.
Quand Cameron fait Avatar par exemple, il ne cache pas sa volonté de prouesse technique, de performance visuelle.
À mon sens le pari est réussi. Assez bluffant au niveau esthétique, c'est en prime divertissant, sans casser des briques. Note moyenne.
En revanche lorsque Steven parle de Tintin, il affiche l'ambition de rendre hommage à un univers qui lui est cher.
Les aspects purement esthétiques ne peuvent donc tempérer l'ampleur du désastre puisque l'animation n'est quasiment qu'un outil, dans le cas présent.

Je sais, cela ressemble à de l'acharnement mais après tout, le nouveau n°2 de mon Flop10 le vaut bien.
À voir uniquement pour vous octroyer le droit de le critiquer à votre tour, et par pur masochisme assumé.
SeigneurAo

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