Un jeune homme pauvre traverse la lande avec en poche une simple lettre de sa mère qui le recommande à un ancien amour, qui va se révéler être un gentilhomme de fortune... Ce début a beau être le parfait cliché du roman d'aventure anglais de la fin du XIXe siècle (voir les magnifiques "Aventures de David Balfour" de Stevenson), il marche toujours aussi bien.
A noter que le film n'est absolument pas fidèle au roman original, "Moonfleet", où le jeune héros se fait ensuite voler le diamant, part en Hollande le rechercher, vieillit, mais finit, après bien des péripéties, par revenir sur la plage même de Moonfleet.
Que dire sur "Moonfleet", quand un critique comme Jean Douchet a si bien écrit dessus, quand la bibliographie sur Lang est si pléthorique ? Je ne peux certainement pas prétendre en faire une lecture critique rigoureuse et originale dans le cadre qu'offre Senscritique.
Quelques souvenirs au vol : j'avais vu ce film en prépa, au Grand Action, au début des années 2000, du temps où j'étais un brave khâgneux. Un ami, qui n'avait pas comme moi la prétention vaine de se dire "cinéphile", l'avait vu et était ressorti en disant que c'était un nanard. Pour ma part j'avais eu quelques transports, mais j'avais eu du mal à dire ce que je trouvais dans ce film, et la première vision m'avait un peu déçue par rapport à ce qu'on m'avait promis. Après tout, le décor, notamment l'église, fait un peu carton pâte de nos jours, et un spectateur mal intentionné pourrait trouver bon nombre de clichés dans ce film.
Oui mais voilà : "Moonfleet" ne prétend pas révolutionner le cinéma, il aspire - et obtient haut la main - au rang de classique.
- La photographie, dominée par des tons bruns ou bleus et des ciels anthracites, est clairement inspirée par les toiles de Turner ou autres peintes romantiques : un régal. La composition des scènes, notamment les scènes de taverne, rappelle les gravures du XVIIIe à la Hogarth.
- Les acteurs font leur travail : les seconds rôles interprètent leurs rôles de "stock-characters" (Georges Sanders ne s'est pas trop foulé), mais collent bien à ce qu'on leur demande. Le film est dominé par le duo entre Jon Whiteley (rarement un jeune garçon aura eu un rôle candide aussi touchant) et Stewart Granger, qui incarne un personnage très intéressant de coquin qui malgré lui va chercher à se racheter.
- Le thème principal tourne autour de l'intégrité, de la pureté liée à l'enfance et de sa capacité à dépasser le monde corrompu des passions. Un scénario, assez bizarrement, que n'aurait pas renié Théa von Harbou, la première femme de Lang. Cela dit, difficile de voir dans cette histoire l'appel à la création d'un homme nouveau, car même si John Mohune fait un peu "Hitlerjugend", le film baigne dans une ambiance XVIIIe à la fois guindée et romantique. Certains apprécieront - les amateurs de "Pirates des Caraïbes" probablement pas.
Avec le jeune John, nous nous trouvons dans le monde des passions humaines et de leur irrationalité ; elles sont montrées sans fard, parfois avec un peu d'humour, un peu comme dans "La foire aux vanités" de Thackeray. L'avidité, la lubricité, l'envie, le calcul, mènent la danse, face auxquels le jeune John oppose courage, résolution, droiture et surtout une confiance indéfectible en son "protecteur" - parfois contre ce que dicterait le bon sens.
La fin est très belle. Je ne suis sans doute pas le premier à le dire, mais c'est vrai. Encore une fois, ce n'est certes pas "L'aurore" de Murnau, mais c'est un film dont on n'a pas envie de dire du mal. Ce serait un peu comme donner une baffe à un enfant qui vous aime.