Exercice salutaire, nécessaire, indispensable même, la critique des médias (de masse) demeure confinée dans un cercle restreint et - disons-le - un peu consanguin qui réunit Le Monde Diplomatique, le site Acrimed et quelques médias alternatifs (Arrêt sur Image, Politis,...). Ce documentaire, écho du livre éponyme de Serge Halimi (directeur de la rédaction du Diplo), lui-même inspiré des "Chiens de garde" de Paul Nizan qui sert de fil rouge au film, émane de ce même cercle.
Pour un lecteur régulier des médias sus-cités, il ne dit rien de neuf : les "éditocrates" monopolisent le temps de parole, singent l'objectivité et le pluralisme pour discourir en réalité des éternels mêmes sujets (la dérégulation économique, la "réforme" libérale, l'Europe qui est sympa et les pauvres qui ne le sont pas) avec les éternels mêmes experts, et toujours dans le même sens du vent, girouettes soumises aux grands soupirs du Capital.
Et malheureusement, le grand drame de de documentaire est qu'il n'est destiné qu'à prêcher des convertis. Son public, ravi de voir moqués et ridiculisés les grands clercs que sont les Laurent Joffrin, Franz-Olivier Giesbert ou Jacques Attali, n'apprendra rien, ne réfléchira guère, et ne se verra finalement offrir qu'un confortable divertissement tout à fait gratifiant, conforté qu'il sera dans sa conviction de n'être, lui, pas dupe de ce grand cirque.
On tombe ainsi dans la curieuse contradiction d'un documentaire qui dénonce l'emprise et l'arrogance d'une élite, mais devant une autre élite, moins influente certes, mais tout aussi arrogante, et guère plus encline à abandonner son statut pour se mêler au "peuple" que Nizan défendait contre "les bourgeois" et leurs philosophes de chevet.
On se sent donc un peu imposteur, un peu vain, quand s'achève ce film plaisant et sarcastique, et qu'on se retourne pour s'apercevoir qu'on est entourés de clones de nous-même, de nos parents, de nos amis, de notre classe en somme. Joyeux et satisfaits, divertis et rassurés sur notre intelligence du monde et notre supériorité culturelle, mais guère plus utiles au peuple que les grands producteurs de cette fumée dont on fait les écrans.
Les chiens de garde aboient, les chats de gouttière les contemplent rigolards, mais la caravane passe, tranquille.
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