CRITIQUES DE VISIONNAGES SUCCESSIFS DU FILM « LES NOUVELLES AVENTURES D’ALADIN »

Acte 1 : Premier visionnage


Ce film est à chier.
C’est le pire film que la terre ait produit.
En dire plus serait faire trop d’honneur à ce qui n’est tout simplement que l’équivalent filmique d’une merde avec des pattes. Non, pardon de plusieurs merdes avec des pattes (il y a plusieurs aspects merdiques à ce film).
En dire plus serait aussi impossible, tant ce film est vide, qu’il n’est rien. Un vide de merde. Une merde vide. Quelque chose de ce genre. J’en ai déjà trop dit sur ce film.
Maintenant, je déteste la vie et les gens.

Acte 2 : Deuxième visionnage


Je suis calmé. Après tout, j’ai survécu à cette deuxième séance. Mais ne nous emballons pas trop vite : ce n’est toujours pas un bon film.
Le film commence par la voix de Cyril Hanouna. Alors là, dire directement que c’est un gage de mauvaise qualité serait hypocrite de ma part, car je regarde de temps à autre son émission (j’ai même été dans le public une fois, l’invitée était Cristina Cordula, j’ai vu le slip de Gérard Louvin, du bon temps). Ceci étant dit, même moi je dois l’admettre : ce film commence avec la voix de Cyril Hanouna. Ce n’est pas un bon signe.
Ensuite le film pose les bases de l’histoire : en fait, les aventures d’Aladin auxquelles nous allons assister sont l’œuvre de la fantaisie du personnage de Kev Adams (dont le nom m’échappe), qui est employé comme Père Noël dans un centre commercial, mais qui fait croire à sa copine (qui a sûrement un prénom aussi, jouée par Vanessa Guide) qu’il est en fait un trader dans la finance. Ce mensonge est entretenu avec la complicité du meilleur ami de Sam (c’est le nom du personnage de Kev Adams, je viens de regarder), qui lui, s’appelle Khalid (joué par William Lebghil). Il fait du super boulot puisque sa première réplique est : « Sam, viens vite, le CAC40 est tombé à 39 ! ». La copine de Sam entend ça et gobe tout. C’est la première vanne du film. On démarre sur les chapeaux de roues.
Ainsi, les deux compères quittent leurs costumes pour revêtir ceux de Pères Noël de galerie marchande. Il est mentionné une espèce de plan de voler des trucs, car un certain « parfumeur » aurait mis Khalid sur le coup. On comprend donc que Sam compense peut-être son maigre salaire par du recel, afin d’entretenir le mythe qu’il est trader (mais vu comment le coup du CAC40 est passé au-dessus de la tête de sa copine, on peut se dire qu’il se donne un peu trop de peine pour rien).
Alors qu’il continue sa journée de travail en… regardant des livres (???), Sam se fait alpaguer par un enfant visiblement laissé dans la garderie de la galerie marchande (si j’ai bien compris), et qui veut que le Père Noël lui raconte une histoire. Il semble que l’enfant confonde le Père Noël et le Père Castor, mais bon, il faut bien que le film avance. Sam affiche une certaine reluctance, essaye de se débarrasser du gamin, mais fait bientôt face à une armée grandissante d’enfants, assoiffés de mythes et de trames narratives, qui réclament tous une histoire. Risquant son job s’il refuse (en même temps dans le film nous sommes la veille de Noël, donc se faire virer ce jour-là ne semble pas être la fin du monde, mais on va dire que Sam veut une lettre de recommandation), il accepte et demande aux enfants qui veut entendre quelle histoire. Après avoir bien ignoré leurs réponses, il propose de raconter l’histoire d’Aladin, car c’est l’histoire qui se trouvait sur les livres qu’il regardait. Les enfants sont mécontents, mais Sam veut vraiment raconter cette histoire, mais à sa façon, genre « Les nouvelles aventures d’Aladin », et c’est le titre du film, et tout le monde est content, et on peut enfin commencer.
On a donc une version « modernisée » de la légende d’Aladin où les personnages principaux sont incarnés par des proches de Sam : il est Aladin, sa copine est Shaliah la princesse isolée (non, son nom n’est pas Jasmine, mais par exemple dans le conte original le nom de la princesse est Badroulboudour, donc rien n’est gravé dans la roche), le méchant vizir c’est l’employé du père de sa copine qui la drague un peu, etc. Alors c’est bien mignon comme concept, une histoire dans un film, pour un peu faire une métaphore de la vie de Sam et qu’il combatte ses démons intérieurs, sauf qu’il y a plusieurs moments où le film abandonne ce cadre, oublie Sam et tout le tintouin de la « vie réelle », et veut juste présenter un film sur Aladin. Sa cohérence est sacrifiée sur l’autel de la blague supplémentaire.
Oui parce que sinon comment justifier que l’histoire regorge d’allusions sexuelles ou scabreuses, complètement inadaptées au public de Sam ? On imagine mal un mec déguisé en Père Noël devant une vingtaine d’enfants leur dire « Et là, Khalid, complètement écœuré par la princesse à cause du sort jeté par le Génie, n’arrive pas à avoir une érection, et tout le monde l’appelle ‘couille molle’ et il le vit très mal » ou encore « le sorcier met le doigt dans l’oreille d’Aladin et fait des va-et-vient et a un début d’orgasme. Aladin, gêné, demande au sorcier s’il ne serait pas un peu de la ‘jaquette volante’ ».
Il se peut que le problème du film soit qu’il ne s’assume pas, ou que les créateurs n’avaient pas assez confiance en leur version d’Aladin pour la faire tenir toute seule. Un peu comme le récent film Le petit prince, qui montre aussi l’histoire de Saint-Exupéry racontée par quelqu’un du « monde réel », il faut une situation plus réaliste, plus identifiable au spectateur pour qu’il comprenne le message du film, apparemment. Mentir et voler c’est mal, mais vous le comprenez parce que Sam, pendant son histoire, le dit tout haut. Autrement ça vous serait évidemment passé au-dessus de la tête.
Bon sinon il y a le problème de la blague récurrente de savoir si un personnage est de « de la jaquette volante », qui veut dire « être homosexuel ». Là pareil, c’est de la vanne facile, et tant pis après si au sortir du film ça confirme les pré-ados qu’ils ont raison de s’accuser de gays entre eux, on se sera bien marrés.
Il y a aussi l’atroce moment de la chanson de l’arrivée du « prince » Aladin dans la cité de Bagdad, qui se veut donc une sorte de « Prince Ali » de Disney mais pour les jeunes et pas pour les pédés t’as vu. C’est donc un rap, il y a des filles qui twerkent, c’est présenté comme un clip qui passe sur « Bagdad TV ». La musique est assez forte donc on peut rater des perles de paroles telles que « Si tu doutes qui c’est l’boss, viens voir sous mon sarouel/Tu verras le colosse taille XXXXXL », mais on entend très bien les paroles « J’vais dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas/Dans la bouche du vizir ça sent le CACA ! ». Je mets « caca » en majuscules parce que ce mot est clairement mis en valeur à ce moment et précède un silence qui, bien qu’il soit de très courte durée, permet de jauger assez bien le malaise de la salle.
À un moment, Aladin doit s’accrocher à une corde qui ne monte que quand il joue de la flûte, et n’arrive pas à faire les deux en même temps. Il trouve alors la solution de se mettre la flûte dans les fesses.
Et donc, après des cameos de La Fouine et de Ramzy Bedia, Aladin passe outre ses mensonges et obtient un baiser de la princesse, le méchant vizir est capturé dans un passage qui ne fais pas une mais bien deux références à Star Wars. La première c’est lors de l’affrontement final, Aladin et le vizir sont dans la pose classique on-croise-nos-épées-en-appuyant-comme-ça-on-peut-faire-une-pause-dans-le-combat-et-parler-un-peu des combats d’épées et le vizir dit Aladin « rejoins-moi du côté obscur ! ». Il y a une pause pour l’effet « comique » et Aladin baisse son arme et répond « Ok, c’est où ? ». On se marre bien devant cette réplique qui casse le peu d’enjeux présents dans la scène. Les deux ennemis se retrouvent donc dans une pièce obscure (arf arf) et le vizir dit « Je suis ton père ! ». Aladin commence à encaisser le choc de cette nouvelle et crie « Nooooon ! » mais après encore une pause pour effet comique il dit « Non mais attends mon père il est mort quand j’avais cinq ans ça marche pas » (arf arf arrrrrrgh mon cœur). Après Aladin retourne la situation et dit « je suis ton fils » au vizir et le vizir le croit et se laisse capturer. Puis la « blague » du « je suis ton père » devient un running gag pendant le générique de fin par des scènes qui entrecoupent la chanson ‘Aladin’ de Black M et c’est le dixième cercle de l’Enfer et qu’on me laisse mourir.
La fin du film est assez grotesque, puisqu’on se retrouve chez la copine de Sam pour le réveillon de Noël, et il avoue qu’il lui a menti sur toute la ligne, et elle fait genre « ok mais jtm » et tous les enfants qui écoutaient son histoire qu’il n’avait pas eu le temps de finir (ce qui sous-entend que ce qui a duré 1h30 pour le spectateur a duré huit heures dans le film) sont rassemblés dans le jardin on ne sait comment et c’est sa copine qui finit l’histoire et hop, fin, générique et Black M.
C’est donc un film qui ne s’assume pas, qui préfère la blague à la construction et la cohérence de son univers, à la qualité d’humour inégale (mais de niveau globalement bas) et qui ne vaut pas la peine d’être revu.

Acte 3 : Troisième visionnage


Peut-être ai-je été trop dur avec ce film.
Par exemple, les acteurs se donnent à fond pour le film. Jean-Paul Rouve est plutôt bon, il maîtrise ce genre de personnages acerbes et imbus d’eux-mêmes. Eric Judor en génie, c’est bien trouvé (même s’il y a à un moment une petite scène inexplicable ou le génie discute avec Aladin et revêt une toque d’Indien d’Amérique et parle en charabia et peut-être que c’est censé jouer sur l’aspect polymorphe du Génie mais ça reste une île de bizarrerie dans un film déjà peu cohérent.). Bon, Michel Blanc est en vitesse de croisière, mais ça fonctionne. Audrey Lamy fait sa meilleure Audrey Lamy, et ça passe. William Lebghil, plutôt bon aussi. Quand il n’en fait pas des tonnes pour être drôle, Kev Adams s’en sort bien. Vanessa Guide fait de son mieux avec un personnage peu développé.
Bon je ne vais pas parler de l’acteur qui joue le sorcier car c’est le rôle le plus malaisant qu’il m’ait été donné de voir depuis un bout de temps. Je ne sais pas si c’est la performance de l’acteur ou l’écriture du personnage ou un savant mélange des deux qui en est la cause mais en tout cas le résultat est là. Donc chapeau, j’imagine. (Ah, et je viens de voir que l’acteur qui joue le sorcier et le réalisateur sont la même personne… Un beau sens du sacrifice de la part du réalisateur.)
Et puis, il y a quelques blagues qui fonctionnent bien, quelques trucs un peu subtils (un détective privé s’appelle Sheikh Loukoums) et les décors sont bien faits. Les effets spéciaux sont de bonne facture. Ça rend l’univers crédible, c’est important. Non vraiment, je commence à changer d’avis sur ce film : il est très divertissant, il ne mérite pas toute cette haine. Et puis, un film qui fait autant d’entrées ne peut pas être si mauvais que ça. C’est un très bon moment de détente : allez le voir en famille, personne ne sera déçu !

Acte 4 : Quatrième visionnage


J’ai une théorie : ‘Aladin’ ne fait que semblant d’être un mauvais film, et en faisant ça, il soulève la question du rapport entre ce que le public désire et ce qu’il mérite vraiment.
Je m’explique. Dans le film, nous voyons Sam (le processus créatif) raconter l’histoire d’Aladin (le produit artistique visé) à un parterre d’enfants (le public) dans une galerie marchande (l’industrie du cinéma). Par moments, l’histoire s’arrête, par exemple quand Sam demande aux enfants de trouver ce que le Sultan pourrait demander à Aladin pour vérifier qu’il est bien riche. À un autre moment, au début de l’histoire, Sam raconte que le meilleur ami d’Aladin se fait tuer, mais les enfants refusent cette version de l’intrigue et trouve un moyen pour qu’il soit sauvé, et Sam incorpore cette solution dans son récit.
Voilà le cœur du message du film. Le processus créatif, se trouvant pris au piège par des forces économiques extérieures (le personnage de Sam n’a pas beaucoup d’argent, et ce n’est pas anodin qu’il se fasse passer pour trader auprès de sa copine – qui incarne la reconnaissance et les retombées financières promises) et par un public exigeant et peu enclin à être inconforté, doit se plier à leurs exigences et se retrouve obligé à baisser les enjeux (les morts ne sont plus morts), déconstruire son univers au service de la gratification immédiate (les blagues), et globalement mettre toute dignité au placard. En résultat, le public reçoit une histoire qui lui plaît sur le moment mais objectivement médiocre, et cela, par sa propre faute. La force créative ou la vision personnelle se retrouvent étouffées et tuées par la pression sociétale et financière.
Et ce constat glacial est encore plus appuyé par la fin du film : La copine finit l’histoire à sa place, afin de maximiser les profits, le père de la copine (symbolisant le capitalisme pur) est satisfait, et le public d’enfants est ravi. Ainsi, tout le monde obtient ce qu’il désire, le système tient la route, et tout le monde continue son irrésistible descente vers l’enfer de la médiocrité artistique.
Le film dresse ainsi un portrait cinglant du système actuel de la production audiovisuelle, et le film essaye de réveiller le spectateur à plusieurs reprises quand les personnages brisent le quatrième, voire le cinquième mur (après la suggestion de l’enfant sur comment sauver Khalid, on voit un personnage déclamer de façon forcée le texte de l’enfant, et jeter un regard blasé vers la caméra : il regarde en même temps les enfants, et nous, les vrais spectateurs). Et le fait que les enfants, à la fin du film, se retrouvent seuls dans le froid, juste en compagnie de l’employé de la galerie marchande, et sans leurs parents (c’est-à-dire sans éducation) pointe clairement le coupable du doigt, selon le film.
On donne au public le pire film du monde mais on lui donne les outils de comprendre pourquoi il est en train de voir ce qu’il voit. Ce film est donc un bijou de post-post-modernisme et devrait être vu par tout le monde. On devrait même instaurer un visionnage obligatoire vers le lycée, à la Guy Moquet, quand les élèves sont le plus aptes à comprendre ce message et à changer la donne.

Voir ce film est un acte citoyen.


Acte 5 : Cinquième visionnage, Ou La Fin ?


Il y a eu Aladin.
Il y a Aladin.
Il y aura Aladin.
Aladin est tout. Aladin est vie. Aladin est mort. Aladin est Bien. Aladin est Mal. Nous mangeons Aladin, nous respirons Aladin, nous pensons Aladin.
Il n’y a pas de début, pas de fin. Il y a seulement Aladin.
Un cycle constant, immuable.
Aladin naît, meurt, renaît. Moi avec lui, lui avec moi.
Aladin.
Aladin.
Aladin.

PS : Il se peut que je sois déjà mort, je ne sais pas, tout n’est qu’Unité à présent. Alad-Un. Mais si jamais je quitte cette enveloppe charnelle, donnée par Aladin, sachez que je ne partirai pas très loin, et que je serai encore guidé par Aladin, et qu’il vous guidera aussi, si vous vous laissez guider. Vanessa GUIDE. Tout est plus clair à présent. Ne pleurez pas pour moi. Je suis avec Lui. Il est avec moi.
Mais je pleure pour vous.

AdrienUrso
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le 13 nov. 2015

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