J'avais feuilleté quelques pages de la programmation du cinéma du coin. Il y avait un nouveau film basé sur une famille de l'ex-Yougoslavie, qui faisait l'exode. Non pas que cette histoire trépidante chargée d'action et de rebondissements certains ne m'intéressait guère, mais une séance spéciale Hitchcock m'avait interpellé d'avantage. Après tout, ce bon vieux Alfred avait nourri le monument cinéphile des années 50 et j'ai toujours souri quand je le voyais apparaître dans ces interruptions furtives pendant ses films. Hitchcock rate un bus, Hitchcock promène ses chiens au bord de la rue, Hitchcock, et Hitchcock. Bref, j'avertis donc avec hâte un ami que le cinéma projette « Les oiseaux » ce soir à dix-huit heure. C'est plutôt bon présage, la masse allociné a bien voulu céder un quota d'étoiles suffisant pour le film du maître, et puis, c'est une séance ciné-club, ce qui promet un débat riche en émotions après le film.


Le hall d'entrée était bondé de vide, je me dirige vers le guichet, je mens sur mon âge, j'ai une réduction, fier de mon stratagème malin et vicieux je me dirige vers la salle avec une économie de trois euros. Avec cela je pourrai aisément m'acheter une glace à Macdo un après-midi pluvieux, ou bien alors je pourrais allé à la gare en bus, et m'acheter un café sucré au distributeur si celui-ci décide cette fois de ne pas oublier de mettre un gobelet avant de verser le café. Quand j'y songe un peu, j'ai vraiment l'impression de devenir radin. L'arrivée de mon ami m'arracha de mes pensées pratiques. Je lui fait part de ma fine tactique pour gagner un peu d'argent. Il me fait rapidement savoir qu'il s'en fiche, le bougre étant plus jeune n'a pas besoin de tout cela pour bénéficier de la réduction. Ce que j'aime beaucoup dans ce cinéma, ce sont les sièges. Il sont suffisamment écartés pour que je puisse lamentablement étaler mes membres inférieurs, mais ils sont suffisamment rapprochés pour que puisse se créer une sorte de chaleur mentale que dégage cette sensation d'être liés aux autres spectateurs. Je m'attendais d'ailleurs à ce qu'il y ait plus de monde pour le film. A l'époque cela devait être la folie les gens devaient se ruer pour voir le dernier film d'Alfred, surtout que l'affiche promettait des super effets spéciaux et un suspens au rendez-vous ! L'homme d'affaire accompagné de sa femme au foyer des années soixante aurait pu préparer une sortie, pendant que les enfants seraient gardés par la nourrice qui ferait des heures supplémentaire pour les servir.
Un des gars du ciné-club arrive, le rituel de présentation va commencer. Il nous met en garde que le film contient des effets spéciaux hallucinants (pour l'époque), il nous dit avec une étrange sévérité que c'est son film Hitchcokien favori. Il nous souhaite une bonne séance, nous promet de revenir à la fin pour discuter et s'en va. Le film va pouvoir commencer.
Le générique démarre, je constate rapidement qu'il n'y a pas de musique, j'essaye en vain de cerner un rythme dans les bruits de battements d'ailes et cris d'oiseaux qui inondent la salle après avoir vu dans l'un des titres du générique annonçant qu'un artiste a travaillé sur les effets sonores. Peut-être que ce dernier était descendu dans un marécage américain avec un micro pour capter les meilleurs sons d'espèces ornithologiques rares avant la migration vers les pays chauds. Cette perspective me fascinait, et j'éprouvais alors une grande compassion pour le monteur de la bande son qui a du aligner les sonorités pour finaliser le film. La scène d'introduction débute alors, je suis content de constater sans surprise, la blonde froide au cheveux bien coiffés traditionnelle. Alfred reste fidèle à son fétichisme habituel. Je me dis alors que le mâle dominant ne va plus tarder à faire son entrée en scène. Le décor se pose, je découvre sans grand enthousiasme les différents personnages. Les scènes s'enchaînent, et rapidement l'intrigue s'installe. Les oiseaux vont alors commencer à malmener nos personnages dans un petit village américain au bord d'un lac, le cocon familial est bousculé au fil des vagues de piaffes agacés. Je prends finalement du plaisir et je me laisse rapidement noyer dans l'histoire.
Pourquoi les femmes dans ce film sont-elles des démons ? A chaque fois qu'un désastre arrive, l'origine est obligatoirement de nature féminine ! Pourquoi sont-elles des empotées pareil ! Elles manifestent dans le moindre des dialogues un désir farouche d'avoir un homme pour venir à leur rescousse ! Hitchcock je savais que tu étais un homme de ton temps mais là tu abuses un peu tout de même ! Ce n'est plus une petite blague misogyne entre deux bières, c'est un véritable acharnement envers les femmes ! Si l'ami Sigmund passait par là il te dirait que tu souffres d'une frustration sexuelle importante ! D'habitude, je ne suis pas tant heurter que cela par cette misogynie abondante qui dégouline des œuvres de l'époque, les films arrivent toujours à corrompre mon fil de pensée et m'embarquer dans leurs aventures. Cette fois, cela ne passe pas. Je remarque d'ailleurs que les personnages portent toujours les mêmes vêtements depuis le début du film, ce qui me fait imaginer l'odeur pestilentielle que pourrait dégager une telle circonstance dans la réalité. Peut-être que cela permet au mâle alpha de mieux cerner les personnages dans ces amas de bêtises. Je viens de me surprendre à compter les minutes, un événement obscure vient de faire déclencher des rires dans la salle. Les énergumènes derrière moi viennent alors dandiner les jambes faisant bouger mon siège. Finalement le film réussie à maintenir mon attention avec ses scènes d'agression volatile qui surgissent par tous les coins. Je me demande si je ne suis pas un peu déraisonné, je m'efforce de faire abstraction de ce qui m'agace du film pour dégager que le positif. Je me rends compte que c'est bien plus facile finalement d'assassiner que d'élever nos œuvres favorites. Peut-être que la répugnance m'est plus familière, et mon intérêt de démolir les choses adulés et ordonnées est plus fort que le reste. Finalement, il y a du bon quand je vois ces images, le film se termine dans une apocalypse qui n'est pas là pour me déplaire, la famille se retranche dans le salon et guette les derniers cris d'oiseau en faisant le moins de bruit possible. Cela me rappelle, la fois où nous fîmes bloqués sur autoroute en pleine nuit à cause d'un accident qui avait créé un embouteillage sur plusieurs kilomètres. J'avais six ans, j'étais terrorisé, j'avais bien peur que j'allais finir mes jours dans la voiture familiale avec mon frangin et mes parents. C'est ce climat de tension et d'enfermement qui me replonge rapidement dans le film pour la dernière demi heure, la horde de corbeaux faisant le véritable assaut des lieux déjà exigu m'intrigue et m'intéresse d'avantage. Cela doit être cela qui a déclenché une envie soudaine chez mes voisin du dessus d'aller aux toilettes, ratant alors le meilleur moment du film. Mais finalement, je suppose que si cette scène fonctionne si bien c'est bien grâce au déroulement mis en place depuis le début ! Je le savais, j'aurais du préserver la présomption d'innocence du film et non le déclarer coupable dès les premiers dérapages matcho. Je fais alors mon propre procès sous ma boîte crânienne et le juge déclare sa sentence. Il m'annonce je croupirai les derniers jours de mon existence au fond d'une cellule pour outrage à l'art et tentative moderno-anarchiste de renverser l'ordre établi. J'aurai un droit de visite restreint et je serai condamné à regarder en boucle la filmographie d'Alfred Hitchcock, en étant attaché sur ce siège ou je regarde actuellement Les oiseaux.
Au diable tout cela ! Je préfère me contredire que de paraître idiot ! Je n'ai pas apprécier, ce film, je n'ai pas à me tortiller pour essayer de tirer l'épingle du jeu, Alfred m'a ennuyé pendant une grosse partie du film et il m'a surtout beaucoup agacé. Je ne bouderai pas ma mauvaise fois ! A cette même époque sortait Une Femme est une femme ou encore Cléo de 5 à 7 il n'y a aucune raison qu'un vieil homme aux idées obtuses vienne changer mon jugement sous peine que sa réalisation s'avère maîtrisée. En plus de cela, les effets spéciaux n'ont pas si bien vieilli, contrairement à ce que nous annoncer l'homme lors de la présentation au début de la séance. D'ailleurs le voilà qui arrive, le générique final ne devrait plus tarder à pointer le bout de son nez.
Les lumières se rallument. Pas une seconde de répit, l'amateur cinéphile attrape le micro et déblatère son engouement persistant à propos du film. Il demande à la salle si certaines personnes n'avaient jamais vu le film. J'hésite, puis je lève timidement la main, après tout, cela n'engage rien. « Quelles sont vos impressions à chaud monsieur ?» Quoi ? Sérieusement ? Au réveil du roi, on lui demandait ce qu'il avait mangé la veille ? On lui demandait de ce qu'il avait rêvé pendant la nuit ? S'il y a bien quelques choses qui m'agacent ce sont ses personnes qui n'accordent pas un intérêt pour la phase postprandiale après un spectacle, ou après un film. Bref, je lui réponds avec quelques mots mal alignés que le film n'a pas très bien vieilli mais qu'il arrive encore à maintenir un suspens. L'homme est en train de sourire. A-t-il compris que je lui dis de manière polie et hypocrite que je n'ai pas apprécié le film ? « Je suis bien d'accord avec vous, je trouve que le film n'a pas vieilli. » Il semble qu'avec mon ton nonchalant et quelque peu baragouinant, il ait mal interprété mes propos. Je ne le corrige pas, je reste silencieux, et j'acquiesce lamentablement ses propos en espérant rentrer rapidement chez moi. Je me tourne vers mon ami qui riait déjà de mon ego bafoué par la mauvaise interprétation d'un homme un peu dure de l'oreille.

On quitte la salle silencieusement, je propose alors à mon ami d'aller manger au KFC.

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le 4 oct. 2015

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