Todd Solondz apporte une suite à son fracassant Happiness. Il confie les mêmes personnages à de nouveaux acteurs, en les mêlant à de nouveaux au moins aussi usés ou égarés. Mais cet opus montre plus que des signes d'essoufflement : les ingrédients et les vannes sont à peu près courus d'avance. Après Storytelling et Palindromes, Solondz donne l'impression d'exécuter une commande. Ce n'est pas carrément un accident de parcours, mais c'est ce genre de films qui vous indiquent qu'un auteur a fait le tour de ce qu'il avait à dire ; or comme il faut bien continuer à exister, on travaille le style sans trop se préoccuper de l'inspiration. Alors Solondz imite Solondz, mais avec un effet voyeur décuplé – et une mélancolie banalisée, blasée y compris d'elle-même.


Dès la scène inaugurale, le dispositif est forcé. On sait que le climat émotionnel est faux et on découvrira progressivement de quoi le malaise étouffé relève : ce mec propret et rasoir, en plein repentir, est un ancien antisocial qui a fait carton plein. L'écart est peut-être trop grand : le tort du film est de minimiser les fêlures, alors que dans les autres Solondz, les brèches menant à la vérité d'un personnage suffisent. LDW est plus mécanique et joue sur l'oscillation entre le visage clean et l'effondrement, ce qui n'était qu'une astuce secondaire, pour la forme et l'amusement, dans les autres opus. L'ex-femme du pédophile devient le personnage le plus intensément grotesque et pathétique. Maintenant elle cherche l'épanouissement en normcore ; mais c'est l'orientation fondamentale de sa vie ! C'était la conformiste 'positive' de service dans Happiness. Finalement, c'est une opportunité pour elle de pousser ce trait à son stade ultime.


Cet opus est grossier, pressé, mais aussi à fleur de peau (d'autant plus tranquillement que les abysses et les espoirs de L'âge ingrat sont loin). L'ironie se concentre sur des choses évidentes, de surface ou des 'émanations' psys de gros émotifs. Il faut souligner l'écart entre le masque lénifiant et l'authenticité déplorable (ou aliénée). Life During Wartime chérit ce qui tache ouvertement et dans l'instant. Il brasse les vices : voler, mentir, chialer, etc. Les hontes et complications liées aux rapports sexuels sont très prisées. On pose les questions affreuses : maman, comment font les pédophiles ? La lourdeur empêche tout décollage dans ces circonstances : il faudrait mordre et plonger, au lieu d'être satisfait de ses piques indécentes. Mais le film sait dépasser ces marottes et surprendre. Il sait montrer des personnages écrasés, pris par leurs engagements sociaux ou moraux, tous en lutte avec des représentations publiques ou privées.


De nombreuses anecdotes relèvent la sauce : la famille recomposée à table, le laïus de Mark l'analyste de systèmes et les autres moments autour de cette séquence, sommets de crucherie 'd'intègres'. Les sarcasmes absurdistes sont légion et la saynète autour de Rampling croustillante. Cette Jacqueline est à la fois pitoyable et impressionnante ; drôle puis intimidante, mode 'tout vu tout maté, tout blasé'. C'est un générateur de cruauté, doublé d'un aimant pathétique. L'actrice reste à mille lieux du saut dans le vide de Bette Davis pour Baby Jane ou Taylor dans Virginia Woolf, mais avec un tel rôle elle accepte de prendre des coups. Enfin Solondz règle probablement des tensions personnelles avec la religion juive, dans laquelle sa famille est engagée. Même à cet endroit il n'arrive plus à exprimer de hargne ou de mépris ; la tristesse et le détachement semblent l'emporter, avec une certaine acceptation navrée. Forcément le rire se raréfie ou baisse d'un ton. Le besoin de recoller les morceaux et abandonner les hostilités se fait sentir, engendre des bouts de tendresse.


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Zogarok
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le 12 nov. 2016

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