Un weekend Lynchien: Vendredi Lost Highway / Samedi Mulholland Drive

J'ai tenté une petite experience ce weekend: regarder deux jours de suite deux films siamois à savoir Lost Highway et Mulholland Drive.

Avant l'exeperience, le contexte. Ma fascination pour David Lynch est assez récente. Les premiers films que j'ai vu de lui sont Elephant Man et Dune. Vus adolescent, ces deux films m'ont marqué pour leur folie, mais je ne me suis pas plus intéressé à leur auteur, notamment en raison de son aura austère et inquiétante. Puis l'été dernier sur les conseils d'un ami je me lance dans Twin Peaks. La porte d'entrée idéale dans l'oeuvre du maître, car sa réalisation la plus accessible tout en étant tout à fait caractéristique de son style. C'est la révélation. Je regarde ensuite Blue Velvet, puis Fire Walk With Me. Enfin je retrouve Lynch au hasard de la série Louie. Ça y est il est trop tard, je suis fasciné. L'univers Lynchien m'absorbe: les années 50, le vieux rock'n roll, les femmes fatales, les films noirs, le café, les blondes, les brunes, les rêves, la psychanalyse, Freud, Badalamenti, les rideaux et encore les rideaux.

Venons en à l'experience,

VENDREDI: Premier jour de l'expérience. Ma tension artérielle est bonne. Mon esprit est clair. Je lance LOST HIGHWAY. Et dès le générique mon esprit se trouble. Je consigne les symptomes dans mon carnet. Une autoroute. Des phares dans la nuit. Et déjà la frontière entre rêve et réalité se fait trouble. La première partie du film est terriblement angoissante. Un lieu quasi unique (un appartement labyrinthique), deux personnages (le jazzman et la brune ténébreuse) et un antagoniste: le mystery man. Le cauchemar introductif conduit à une mort. Qui déclenche une seconde boucle scénaristique. Cette fois-ci Lynch se lache sur son fétichisme "fifties". Un garage, un biker, des gangsters, une femme fatale blonde. Cette seconde partie commence sur un ton moins angoissant, mais très vite les pulsions de mort reviennent et les ténèbres réapparaissent. Un twist final réunit, mélange, confond les deux histoires. Certaines critiques analysent parfaitement l'imbrication des arcs narratifs, et l'expliquent bien mieux que je ne pourrais le faire. Moi je me laisse porter par l'onirisme du film et je me perds dans ce monde de rêves, cauchemars et pulsions. Le mystery man porte une caméra à la main, et je réalise que Lynch fait ce qu'il veut du spectateur, il est omniscient lui aussi. Premier jour de l'experience et je suis terrassé. C'est sans doute mon nouveau film péréféré de Lynch. Je regrette un peu la bande son parfois metal qui aurait mérité plus de jazz. Mais c'est un faible défaut devant le maelstrom scénaristique qui tort les arcs narratifs et la chronologie, formant une gigantesque boucle. J'ai l'impression de voir une forme contemporaine des films noirs d'antan.

SAMEDI: Deuxième jour de l'expérience. J'entreprends le visionnage de MULHOLLAND DRIVE. J'envisage les deux films comme un diptyque, comme les deux visages d'une tentative de Lynch de renouveler le film noir. Dans film noir, il y a noir. Et dans mulholland on est servis. Pendant deux heures, des bouts d'histoires se succèdent et je suis à nouveau perdu dans un rêve éveillé. Sublime visuellement le film est aussi très complexe dans sa structure. Les situations sont parfois comiques (le meurtre à répétition, la girafe) et parfois terrifiantes (l'homme derrière le muret). Déjà des indices, laissent penser que l'on ne doit pas se fier à ce que l'on voit. Tout semble exagéré, trouble. Là encore twist, imbrication de tous les fragments d'histoires vus. L'héroïne n'est peut-être plus celle qu'on pense. Les projections psychanlytiques se succèdent, et les symboles se multiplient. Une boite bleue, une boite à bijoux, une clef, un sac rempli d'argent, … Tous les indices sont là, sous nos yeux et ne prennent sens (ou du moins s'ordonnent) qu'à la toute fin du film. Et à l'instar de Twin Peaks et de sa scène de rêve, une scène centrale tient lieu de pivot: la scène du club Silencio. Lynch parle directement au spectateur par l'intermédiaire du Maître de cérémonie: tout ceci est enregistré, ne vous fiez à rien. Au fond l'histoire est simple (gloire et espoirs déchus à Hollywood) mais son traitement brouille les pistes. Fin du deuxième jour de l'experience et je suis perplexe. Mulholland parachève les experimentations de Lynch sur la structure du récit mais il sacrifie aussi toute accessibilité au premier visionnage. Le film doit se voir plusieurs fois, et le premier visionnage est donc difficile. Certaines scènes apparaîtront gratuites jusqu'à la révélation finale qui poussera à y chercher des indices. Mulholland Drive c'est un peu le Pulp Fiction de Lynch: un film à épisodes (aux tons divers), où rien n'est laissé au hasard et qui trouve son unité en toute fin.

L'experience est donc terminée. Ma fascination est plus grande que jamais. De nouveaux symptomes surgissent: des cheveux blancs apparaissent sur mon crâne et se dressent en une spirale faussement décoiffée. Mes habits deviennent noirs. J'ai comme une envie irrépréssible de café. J'allume la radio et tombe sur Blue Velvet de Bobby Vinton. Je l'éteins et les nappes de synthé de Badalamenti me viennent aux oreilles. Je regarde autour de moi, et je suis dans l'obscurité d'une salle entourée de rideaux rouges. Je me métamorphose...

Noir.
Rideau.
Silencio.

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le 9 févr. 2014

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ThomasAchab

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