Sofia Coppola, merci. Tu m'as tellement touché que je fais une critique normale.

"Girls" de Death In Vegas


Qu'est-ce que l'art ? Nous le concevons tous différemment. Pourtant, une chose mettra beaucoup de monde d'accord : nous aimons l'art pour les émotions qu'il nous procure.
L'art sans émotions n'aurait plus de raison d'être.


Lost in Translation est un film émouvant. En adoptant ce postulat sur ce qu'est véritablement l'essence de l'art, une œuvre capable de toucher autant de personnes est une œuvre majeure.


Cependant, ce film n'est pas à la portée de tous, beaucoup ne l'aiment pas. Et je comprends pourquoi. Je ne suis pas resté aveugle à ses défauts. Mais sont-ce vraiment des défauts ?
D'aucuns diront que c'est un film de hipster fade et prétentieux, au rythme lent, focalisé sur deux occidentaux privilégiés et cultivant la narcisse intellectuelle, sorte de maquillage cachant sa vacuité.


La seule écriture de ces mots m'est douloureuse. Toutefois je comprends et respecte cette opinion. Cela dit, si ce film a su susciter autant d'émoi ou de rire chez autant de spectateurs, je maintiens qu'il n'est pas vide de sens.


Intrigué par son succès, je l'ai finalement vu, un dimanche après midi, avant de retourner travailler (parce que oui, il m'arrive de devoir travailler le dimanche soir).


Même pas arrivé à un quart du visionnage, et j'étais amoureux. Est-il besoin de préciser que le cadrage est exceptionnel, le filtre merveilleux et que Sofia Coppola est une esthète ? Non. Même ceux qui n'aiment pas son cinéma le reconnaissent.


L'ouverture sur les fesses de Scarlett Johansson est certes une grande qualité du film ; toujours est-il qu'il ne m'a fallu que quelques secondes pour être en totale immersion. Très peu de films m'ont happé comme celui-ci l'a fait.
Malgré la truculence et la fantaisie distillée tout du long, l'impression de pur réalisme reste intacte. Pas un instant je n'ai eu la sensation de faux que l'on peut éprouver devant un écran.


Durant TOUT le visionnage, je n'ai pensé à rien d'autre. J'ai vécu une immersion totale. Oui, parce que j'aurais peut-être dû commencer par vous dire l'élément crucial de cette critique :
JE ME SUIS PRIS UNE ÉNORME CLAQUE.


« City Girl » de Kevin Shields


Une claque monumentale, même. Devoir travailler trois heures par-dessus fut un intransigeant calvaire. Incapable de me concentrer, j'étais encore perdu dans le film, comme ses protagonistes dans leur vie.
Cet état post-filmique a duré quatre heures avant l’accalmie. Quatre longues heures avant que je n'arrive à penser à autre chose.


La plupart des réalisateurs se contentent de faire soit une comédie, soit un drame. Sofia Coppola a marié les deux. Lost in Translation est aussi drôle que triste. Un sentiment doux-amer l'imprègne tout du long, et si certaines scènes sont hilarantes, leur durée les rend peu à peu gênantes, si bien que très vite on ne rit plus des personnages, on a de l'empathie pour eux.
Et la vie, c'est ça. La vie est faite de rire et de larmes, de plaisir et de douleur. La vie n'est ni douce ni rude, ni calme ni agitée, elle est un subtil mélange de tous ses composants.
C'est une évidence, certes, que pourtant nous avons tendance à oublier, engoncés dans les soucis de notre quotidien. Ce film nous le rappelle finement.


Intimiste sans être égotiste, Coppola humanise le cinéma avec délicatesse.


Le casting du film est très bon, mais il va sans dire que c'est le duo principal qui fait toute sa force. Le grandiose Bill Murray, plus que jamais, impose son pouvoir comique, son charisme unique. La sublime Scarlett Johansson, touchante, jeune et délicate, possède une aura particulière, et prouve qu'elle est une grande actrice, pour peu qu'elle soit entre les mains de la bonne réalisatrice.
Tokyo sert de berceau à l'histoire, en est un personnage à part entière, entité démesurée où l'on se sent petit quoique paradoxalement rassuré. Une histoire qu'ils n'auraient pas pu vivre ailleurs, tant l'étrangeté de la ville et leur insécurité renforce leur proximité.


Le rapprochement des deux personnages se fait progressivement, et plus ils apprennent à se connaître, plus la tension monte. Au delà de la surface de leur rencontre, on sent qu'ils se connaissaient déjà avant leur premier échange. Car ils sont connectés par une attraction qui ne s'explique pas. Malgré la différence d'âge, ils n'ont pas besoin de mots pour se comprendre, pas besoin de s'étreindre pour s'aimer.
Il s'agit d'une histoire d'amour sincère et puissante, que nous aimerions tous vivre, malgré les souffrances qu'elle peut engendrer.


C'est aussi une exploration de la solitude. Comme l'aurait dit très justement feu Robin Williams : il vaut mieux être seul qu'avec des personnes qui nous font nous sentir seuls. C'est ce que nous montrent Bob et Charlotte ; quand ils sont tous les deux, on voit bien qu'ils n'ont besoin de personne d'autre.


Mais tous ces paragraphes ne sont que des mots. Les mots, qui nous sont essentiels pour nous exprimer, mais qui jamais ne traduisent assez fidèlement nos sentiments, car aucune phrase, si juste et profonde soit-elle, ne sait retranscrire leur vraie nature.
Les mots sont précieux, et ceux que Bob Harris murmure à l'oreille de Charlotte demeurent un mystère ; tant mieux. Il faut que cela reste entre eux.
Nous avons droit à une tranche de vie, l’aparté particulier de deux êtres égarés qui se trouvent l'un dans l'autre plus que nulle part ailleurs.
Et dont nous ne sauront jamais la suite. Il est bon de ne pas avoir de conclusion décisive, laissant place au rêve, à l'espoir, à l'imaginaire.
La vie, comme un film, pourrait se découper par scènes, par plans, par passages. Lost in Translation pourrait être le passage marquant d'une vie.


Des scènes cultes inoubliables, des moments de tendresse, et tous ces petits détails que l'on vit mais qu'on ne voit quasiment jamais au cinéma, font que je pourrais m’épandre encore en dithyrambe, louer ce film pour tout ce qu'il recèle, comme l'ont déjà fait nombre de ceux qui l'encensent.
Fi de la critique cérébrale, faisons parler le cœur. Lost in Translation me touche à un niveau personnel ; il fait vibrer tout mon corps, parle au voyageur, au solitaire, au mélancolique. C'est un film sur l'être humain, sur la vie, qui a fait resurgir des choses que j'ai vécues, plus fortes que jamais.


Qu'est-ce que l'art ? Certains le catégorisent, l'étiquettent. Comment je le conçois? Je crois que l'art n'est pas définissable avec précision, qu'il est dans chaque instant de la vie, dans chacun de nos gestes. Je vois de l'art dans le simple fait d'exister.


Ce film me confirme cette appréhension toute personnelle que j'ai de l'art, car il a capturé un peu de moi-même et me l'a renvoyé en plein dans la figure.


Ce film est capable d'émouvoir profondément un être. En ce sens, c'est un chef-d’œuvre.


Lost in Translation m'a remué, bouleversé, transporté. Quand enfin j'ai repris mes esprits, je ressentais un pincement au cœur, mêlé d'une furieuse envie de vivre.


Ce film est délicieux, c'est un nectar de la vie. Juste comme le miel.


« Just Like Honey » de The Jesus And Mary Chain

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le 9 oct. 2014

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Veather

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