Lorsqu’un film doit sa place dans l’histoire du cinéma au talent ravageur d’une actrice et à son audace décapitée par la censure, c’est certes un jalon de l’histoire de l’art, mais ça ne fait pas tout. Certes, Loulou serait le premier film à aborder le sujet lesbien. Certes, le parcours chaotique de la protagoniste défie toutes les lois de la morale, et oui, Louise Brooks est la statue inébranlable et éternelle de la féminité insondable et envoûtante.

Le film est d’une indéniable qualité par sa propension à mettre en scène la fébrilité d’une collectivité avide de plaisir : sexe, champagne, jeux d’argent, spectacle, tout tourbillonne autour de Loulou, être frivole, chef d’orchestre de ce chaos des sourires oublieux. On appréciera aussi l’évolution de la mise en scène qui réduit progressivement le nombre de personnages et resserre les plans pour capter au plus près le ravage des passions et l’aliénation par le plaisir. La dernière séquence est ainsi un paroxysme savamment orchestré par cette montée de l’escalier et cet expressionnisme graduel décomposant la violence contenue des mains, l’acéré d’un couteau où la folie d’un regard. Eros et Thanatos habitent tout le film, notamment dans ce rapprochement violent des corps où Schön braque Loulou en exigeant d’elle qu’elle se tue, associés au motif du gui, alibi au baiser qui se transforme en décoration funèbre… S’y ajoute le thème de la marginalité, dans des lieux d’habitation de plus en plus précaires et interlopes, dessinant avec talent les contours d’une population généralement occultée. La scène centrale du procès nous permet d’envisager le regard porté par la société bienpensante sur ce monde : Loulou, serait Pandore, (titre original du film) et Pabst a clairement choisi de nous ouvrir sa boîte pour l’explorer dans ses moindres recoins, non sans y ajouter un discours social sur la nécessité qui pousse les femmes au vice.

Il n’en demeure pas moins que le film a certaines limites, surtout au regard de celui qui lui succèdera, Journal d’une fille perdue. Son principal écueil est celui du rythme. Trop long (2h20, un format assez exceptionnel pour l’époque), il s’attarde avec lourdeur sur certaines séquences, répétant des motifs déjà traités comme celui de l’amoureux éconduit. Reste à savoir si cette version, remontée en 1980 pour rétablir les passages censurés, aurait été aussi longue si Pabst s’en était chargée. Trop frivole pour être pleinement attachante, Louise Brooks, qui reste sublime, n’a pas encore l’intensité pathétique et sensuelle qu’on lui trouvera par la suite.

Comme souvent, un film d’un grand auteur peut souffrir de la comparaison avec les émois suscités par une œuvre de lui qu’on aura vue en premier. C’est le cas ici : Loulou est un bijou noir, mais dont l’éclat ne recèle pas autant de feux que le diamant de la Fille perdue.
Sergent_Pepper
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