Nul besoin de présenter Fritz Lang, immense réalisateur allemand qui a marqué à sa façon le septième art durant plusieurs décennies via des œuvres intemporelles, tel Metropolis (1926). Un cinéaste qui a vu sa filmographie évoluer dans les années 30, lorsque le cinéma laissait petit-à-petit tomber le muet pour se mettre au parlant. Une transition qui, pour lui, s’est faite avec M le Maudit, long-métrage qui mérite amplement le coup d’œil, aussi bien pour les néophytes que les cinéphiles purs et durs. Car ne pas avoir vu ce film au moins une seule fois dans sa vie équivaut à ne rien connaître au cinéma même et à son histoire.
Mais il faut bien avouer que le visionnage de M le Maudit ne se fait pas sans appréhension. Surtout pour ceux qui, comme moi, sont d’une toute autre génération : bercés par les blockbusters américains de bonne qualité (Star Wars, Jurassic Park et consorts) qui aujourd’hui les désespèrent au plus haut point (Jurassic World, Terminator : Genisys…). En effet, ils devront faire face à une époque où les films ne paraissaient pas vraiment naturels ni réalistes. La faute notamment à des comédiens qui en faisaient des caisses dans leur manière de jouer, d’exprimer des émotions (comme de gros yeux pour l’étonnement ou la peur). Sans compter des effets de mise en scène d’un autre âge, tel des séquences en accéléré à la manière d’un épisode de Benny Hill (pour donner une référence plutôt « récente »), et des décors ne cachant pas un tournage en studio. Bref, toutes ces caractéristiques propres aux films muets ! Et comme Fritz Lang pouvait se vanter d’avoir à son actif douze longs-métrages de ce genre avant M le Maudit, il est donc normal que ce dernier, bien que parlant, ait les mêmes codes.
Cependant, en faisant fi de ce côté « vieillot » et en se mettant à l’époque de production du film, vous vous rendrez compte à quel point M le Maudit est un chef-d’œuvre. Et surtout à quel point Fritz Lang, réalisant ici un premier essai parlant, a su évoluer avec brio. Ici, il allie la puissance de l’image et l’utilisation des sons pour raconter son histoire (celle d’une ville confrontée à un tueur d’enfants) et créer une atmosphère oppressante. Comme en témoigne la célèbre séquence d’ouverture du film, durant laquelle une mère attend non sans inquiétude sa fille devant rentrer de l’école. Un moment tendu au possible, sans aucune musique. Juste un long silence que vient de temps en temps interrompre le tic-tac d’une horloge ou encore l’intervention d’un personnage. Même chose en ce qui concerne la première représentation dudit meurtrier : une simple silhouette ou un plan du personnage masquant constamment son visage pour rendre compte du danger au spectateur, tout en insistant sur un sifflotement bien précis (un leitmotiv) pour l’identifier plus rapidement à l’oreille. Dix premières minutes qui mettent directement dans le bain et vous annonce d’emblée à quoi vous devez vous attendre de M le Maudit.
Tant de maîtrise technique pour quoi ? Pour une simple enquête s’inspirant d’un fait divers ? Pas que ! M le Maudit va bien au-delà du statut de film policier. Il s’agit également pour Firtz Lang d’une occasion pour dépeindre la société allemande de l’époque, plus exactement celle de Berlin. Qui, durant les années 30, était en proie à un chômage de masse, une forte criminalité et à une fulgurante montée du nationalisme (conséquences de la crise de 1929). Cela, Fritz Lang le montre en s’intéressant non pas à des personnages bien précis comme dans la plupart des récits mais à des citoyens, notamment ceux liés à la pègre (d’ailleurs, le réalisateur a fait jouer dans son film de véritables criminels), devant faire face au tueur, donnant des scènes à la limite du documentaire telle une rafle dans un club de bandits. La plus mémorable reste sans nul doute celle du procès improvisé par la mafia. Une séquence qui joue sur notre perception des faits et autres détails scénaristiques : les citoyens sont représentés tels des monstres perdant de leur humanité en voulant à tout pris la mort du psychopathe qui, pour le coup, apeuré, gagne l’empathie du spectateur par un long monologue plein de sens au point de l’excuser car dévoilant son humanité (il faut dire que l’interprétation de Peter Lorre y est pour beaucoup). Voilà ce qu’est M le Maudit : un véritable tableau de l’Allemagne de l’époque témoignant d’une réflexion sur notre façon d’aborder les histoires. Le film parfait pour la transition entre le cinéma muet et le parlant !
Si cette critique ne vous a pas convaincu, il ne vous reste qu’une seule chose à faire : vous plonger dans le visionnage de M le Maudit. Croyez-le, vous ne serez pas déçus ! Encore une fois, l’âge du long-métrage pourra sans nul doute vous rebuter. Mais en aucun cas vous perdrez votre temps. Car il s’agit là d’une véritable œuvre d’art qui mérite sa place au panthéon des titres cultes du cinéma. Le genre de film que nous n’avons plus l’habitude de voir aujourd’hui, les salles regorgeant de produits commerciaux qui ne laissent plus aucune place, plus aucune chance à des projets bien plus prometteurs.