En regardant la bande-annonce de Ma Loute, je me rappelle m'être dit que le film allait être soit génial, soit complètement raté. Il réussit à être les deux à la fois.


Un peu de la même manière que les films de Quentin Dupieux, Ma Loute semble avoir pour seule et unique vocation d'être profondément absurde, avec des personnages et des situations qui déclinent toutes les nuances de ce mot: de l'absurde bon enfant avec notamment le commissaire Machin, ses déplacements et sa transformation inopinée en ballon (qui fait penser au légionnaire du Coup du Menhir); de l'absurde presque philosophique, avec Christian, le fou encore plus fou que les autres qui ne cesse de répéter, comme un mantra, cette phrase prophétique et grammaticalement incorrecte, "We know what to do, but we do not do"; de l'absurde sentimental, avec cette histoire improbable d'amour de vacances entre un transsexuel très beau et un jeune cannibale très laid et un peu emprunté; de l'absurde plus noir, grinçant, avec ces dialogues à la Beckett, ces portraits de familles dysfonctionnelles, incestueuses ou arriérées.


Cependant, là où Dupieux réussissait, dans Wrong notamment, à nous emporter complètement dans son délire, Bruno Dumont ne parvient pas totalement à convaincre. Peut-être parce que son traitement de "l'histoire principale" (si on peut l'appeler ainsi), ou plutôt du fil rouge (sang) que constitue l'enquête des policiers, est bancal: on a l'impression qu'il s'en désintéresse totalement à certains moments du film, pour le ramener ensuite au premier plan. Au final, l'enquête est trop présente, ou pas assez: trop si l'on considère que le cœur du film est la relation qui unit Ma Loute à Billy, et où l'on peut donc trouver les séquences avec le commissaire et son assistant répétitives et assez lassantes; pas assez si l'on voulait connaître les tenant et les aboutissants de l'histoire (qu'est-ce qui a poussé ces gens au cannibalisme? pourquoi avoir commencé quelques jours avant l'arrivée de la famille bourgeoise? et, d'ailleurs, qu'arrive-t-il finalement aux parents de Ma Loute, à l'issue de l'enquête policière que l'on suppose terminée avant la dernière séquence du film?). Dans les deux cas l'on trouvera que le film se traîne durant certains plans, ravivant ponctuellement l'intérêt du spectateur pour ensuite le replonger dans une perplexité absolue et un ennui relatif.


Un dernier petit mot sur l'interprétation des acteurs: vu le niveau de ceux-ci, leur demander de jouer mal relevait presque de la blague potache; Fabrice Lucchini est en roue (de char à voile) libre, mais s'en sort très bien; Juliette Binoche est insupportable de fausseté et d'hypocrisie, ce qui correspond tout à fait au personnage; Valeria Bruni-Tedeschi, elle, est excellente, mais son personnage subit une transformation de fond en comble au milieu du film sans qu'elle soit expliquée de quelque façon que ce soit, ce qui est assez perturbant. Les autres acteurs, particulièrement les deux jeunes, sont bons aussi, même si certains donnent plus l'impression d'avoir été recrutés pour leur accent à couper au couteau et leur trogne impayable plutôt que pour leurs qualités plus intellectuelles...

Ruhenheim
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le 6 juin 2016

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