9ème film de Woody Allen, et un des premiers à connaître un franc succès de box office, notamment en France avec 2.5 millions de vues. Le film a pour acteur principal la Babylone du réalisateur, son Athènes natale qu'il filme sous toutes les coutures. C'est le décor et l'élément transverse majeur du film, sans oublier le logos (ou plutôt la doxa, la parole creuse selon le critère aristotélicien).


On n'échappe en fait que rarement à l'épuisante et continue logorrhée : comme dans de nombreux (tous) Allen, c'est le moyen privilégié de faire de l'humour. Isaac Davis/Woody Allen ne fait pas l'amour, il déblatère devant ses amis sur la dernière relation qu'il a eue. Il déambule dans des expositions en exprimant avec une débit de mitraillette ses opinions à l'emporte pièce sur des oeuvres qu'il ne regarde même pas ; chaque lambeau de son univers est verbalisé et fondu par un travail frénétique en un flot de paroles confuses. Que ce soit ses amis, son univers, ou même sa "tendency to intellectual masturbation" qu'il trahit dans Annie Hall (film semblable à celui-ci en bien des points) tout est soumis à la controverse ou plutôt au soliloque. L'avantage, c'est que Allen/Davis nous offre des répliques mémorables dans le lot



Being raised by two women is fine. –Really? Because I feel very few people survive one mother



grâce à son remarquable sens de l'écriture. Il n'est jamais aussi irrésistible que lorsqu'il lache un aphorisme d'un air imperturbable au milieu de 10 éruptions verbales.
A l'inverse, il est beaucoup moins à l'aise pour suggérer l'émotion. La scène dans laquelle il regarde l'harmonica que lui a offert, Tracy est un bon exemple. Il garde le même air de Droopy avec pour accompagnement des nappes de violons larmoyant qui se chargent de nous avertir de la tristesse de la scène. Quand il rattrape Tracy à la fin pour la convaincre de rester, on a peine à lire la conviction sur son visage dépassionné.
Difficile de savoir en somme si Allen critique réellement le storytelling hollywoodien. Cette scène où on le voit courir, poncif du film à héros était une bonne occasion d'égratigner les codes extrêmement contraignants du cinéma de studio. Qu'il ne l'ait pas fait me laisse perplexe quant à l'intention du film.


Le film se déroule sur une sorte de faux rythme, on baigne dans une torpeur toute bourgeoise, avant que l'action n'accélère subitement à cause du débit foudroyant d'Isaac Davis. Il enchaine les blagues, cabotine à mort (Un point commun avec son opposé, Louis de Funès) et ne ravive l'attention du spectateur que pour la laisser à nouveau filer. Tout le film repose sur ses épaules, à part la séquence d'ouverture qui est d'ailleurs le théâtre d'un abominable broyage de la rhapsody in blue de Gershwin.


Ce film est l'apologie de l'inertie absolue. Des personnages féminins vont et viennent autour de héros sans ce que celui ci s'empare réellement des choses ni ne prenne la main dans ses relations. Rien ne change, l'humour est le même, l'Allen est le même et NYC est la même.


Fair enough !

Fabrizio_Salina
5
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Créée

le 19 déc. 2013

Modifiée

le 24 sept. 2014

Critique lue 1.2K fois

11 j'aime

Fabrizio_Salina

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