Millénium - Les hommes qui n'aimaient pas les femmes par ChristopheL1

J'ai été si peu convaincu par The social network, le dernier opus de David Fincher, et par l'adaptation du premier volet de la trilogie de Stieg Larsson par Niels Arden Oplev, que j'ai attendu ce remake hollywoodien sans impatience. Et même avec un a priori négatif. Le générique du film est rapidement venu à bout de mes préjugés. Cette séquence signée Tim Miller, illustrée musicalement par une reprise d'Immigrantsong de Led Zeppelin, a en effet un pouvoir immersif assez sidérant. Perdu dans les méandres d'un clavier d'ordinateur filmé comme un labyrinthe, le spectateur se trouve d'emblée sous l'emprise de Gorgones numériques, de Phénix incandescents, fascinant alliage de culture geek –pour une fois que j'en dis du bien !- et mythologique, au parfum bitumineux aussi délétère qu'entêtant. Cette combinaison hypnotique d'images saisit l'esprit pour ne plus le lâcher, tout en lui donnant les clefs du récit à venir et de la psyché des personnages. Du grand art !

Je ne suis pas en mesure d'évaluer la fidélité du film de Fincher au roman qui l'a inspiré, n'ayant pas lu ce dernier. Cependant, si j'en juge par les vagues souvenirs que je conserve de la version d'Oplev, Steve Zaillian (entre autres La liste de Schindler, Gangs of New York) paraît respecter l'intrigue de fond du livre. La grande différence entre les deux longs métrages, c'est la grande limpidité et le tempo très maîtrisé du présent récit, qualités dues au montage virtuose de Kirk Baxter et Angus Wall, collaborateurs de longue date du cinéaste américain. Les deux hommes transcendent une histoire finalement pas très originale (si ce n'est le personnage de Lisbeth Salander), n'en déplaise aux fans : des meurtres en série inspirés de textes bibliques, c'est du déjà vu, en souvent plus érudit. Bien sûr, on me rétorquera que je ne peux pas me faire une idée exacte de sa richesse, puisque je connais seulement ce qu'en a retenu le cinéma. C'est probablement vrai...

La photographie de Jeff Cronenweth apporte un supplément d'élégance par rapport à la version suédoise, qualifiée de rugueuse par ses admirateurs (sans doute parce que cet adjectif leur semble adapté à la culture nordique), alors qu'elle était seulement passable. Le travail de Cronenweth, où transparait l'influence de son père, Jordan (Blade runner), et de son maître, Sven Nykvist (le chef opérateur de la plupart des films d'Ingmar Bergman, oscarisé pour Cris et chuchotements et Fanny et Alexandre), est d'une grande beauté plastique, notamment dans les flash-backs. La séquence reconstituant le jour de la disparition d'Harriet bénéficie ainsi d'un traitement éminemment raffiné.

L'interprétation est également haut de gamme. Alors que Michael Nyqvist composait un Mikael Blomkvist un peu pâlot, Daniel Craig offre ici une prestation parfaitement crédible, bien qu'aux antipodes de son personnage de James Bond. Rooney Mara -l'ex petite amie de Mark Zuckerberg dans The social network- soutient quant à elle amplement la comparaison avec son homologue suédoise, la pourtant bluffante Noomi Rapace. Son rôle, contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, n'a été en rien édulcoré par le filtre de la censure hollywoodienne. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la jeune femme (elle à six ans de moins que Rapace) fait preuve d'une étonnante audace...

Millenium est un divertissement sophistiqué, qui m'a globalement séduit. Toutefois, aussi réussi soit-il, on peut s'interroger sur l'utilité de ce remake. Le roman de Stieg Larsson mérite-il en effet deux adaptations cinématographiques et une série télévisée ? Par ailleurs, je n'en continue pas moins à penser que, hormis Zodiac, Fincher n'est pas le génie que certains se plaisent à dire. C'est un très habile faiseur de films, certes, mais surévalué par la génération geek (chassez le naturel...), tout comme Quentin Tarantino. L'imposture, dans le cas de l'auteur de Seven, est cependant moins flagrante, car il n'est pas dans la citation permanente...
ChristopheL1
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le 27 janv. 2012

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