Viscéral et dérangeant : Fincher et le polar
Pas un grand adepte du premier tome de la trilogie de Stieg Larsson (le deuxième que je lis en ce moment me passionne plus), je n'avais pas vu les adaptations suédoises mais celle-ci de David Fincher m'attirait. Si ce n'était pas pour le scénario que je connaissais forcément et que je n'avais pas trouvé des plus originaux, j'y allais au moins pour ce cinéaste talentueux qui depuis son Alien en 1992 ne m'a jamais déçu (même son « The Social Network », certes en retrait dans sa filmographie, mais qui fut sans doute trop décrié à mon goût tant il reste intéressant sociologiquement).
Le ton est donné dès les premières scènes : le film sera sombre, angoissant et l'apogée visuel se situe dès le générique où les plus noirs aspects de la vie d'une Lisbeth Salander numérisée sont retracés sur la reprise d' « Immigrant Song » de Led Zeppelin chantée par Karen O. Si le personnage de Lisbeth m'avait déjà intéressé dans le roman, David Fincher s'en empare ici avec encore plus de consistance et en fait une héroïne romanesque et cinématographique comme nous n'en avions plus vu depuis bien longtemps. À ce titre, Rooney Mara campe avec brio cette introvertie gothique, ce frêle personnage marginalisé.
Autant le dire tout de suite, la mécanique du polar tourne à plein régime ici. Moi-même, bien que j'avais lu le livre mais il y a quelques mois, j'ai été embarqué dans cette histoire dont je connaissais pourtant tous les rouages. Il faut dire que David Fincher sublime ici l'histoire : tout ce qui faisait l'aspect dérangeant des moments les plus crus de Stieg Larsson est amplifié dans le film si bien que plusieurs scènes seront à la limite du supportable, voire la dépasseront aisément. Quand à sa mise en scène, elle est grandiose comme à l'accoutumée.
Porté par un Daniel Craig surprenant, le film fait finalement la synthèse du cinéma de Fincher. On retrouve à la fois le caractère viscéral et dérangeant de ses polars (Seven, Zodiac) et ses interrogations sur les nouvelles technologies (The Social Network). Millenium n'est-il pas après tout l'illustration de l'opposition de deux enquêteurs ? Entre ce Mikael Blomkvist qui privilégie les interviews-témoignages et les archives-papiers et cette Lisbeth Salander, plus moderne, qui base son enquête sur l'intrusion informatique et les archives numérisées.
L'adaptation de Millenium par David Fincher est sans doute la première claque cinématographique de l'année 2012.