Quand l'esthète Fincher s'atèle à l'adaptation d'un best seller, il ne fait pas les choses à moitié. Avec Millenium, il mettra au service d'une oeuvre dense et intéressante sur le papier tout le génie dont il a déjà fait preuve par le passé pour transcender son matériau d'origine. Si le bouquin était déjà une belle réussite, force est de constater que cette transposition à l'écran lui donne une ampleur prodigieuse, même si par la pâte de ce réalisateur hors norme qui transpire de chaque plan du métrage, cette version imagée s’impose presque comme une œuvre sans paternité.

Balayons d'un revers de main ce qui est souvent reproché au film, à savoir la faiblesse du script qu'il adapte. Il est de bon ton de dénigrer des livres qui fonctionnent, j'ai pour ma part été conquis par la saga de Stieg Larsson et c'est avec un plaisir non feint que j'ai dévoré les 3 tomes. Millenium, les hommes [...] traite du premier qui, bien plus qu'une simple histoire d’enquête, s'occupe davantage de poser les bases du point focal de l'histoire, le personnage de Lisbeth Salander. Là ou pour moi les adaptations suédoises n'avaient pas réussi à saisir l'essence des livres et surtout de ce personnage féminin très marquant, Fincher parvient à trouver le ton juste. C'est bien simple, sa Lisbeth Salander est celle qu'imprimait mon imaginaire quand je lisais le livre.

La grosse réussite de ce Millenium est également dans ces choix de casting. Et si au moment de l'annonce de Rooney Mara en tant que Lisbeth j'étais quelque peu sceptique, mes doutes se sont évaporés le temps de quelques séquences. Ce personnage qui était si fort sur le papier prend ici un envol inespéré. Fincher iconise son actrice à chaque séquence en la mettant en valeur de fort belle manière. On finit par ne plus voir cette marginalité factice qu'elle arbore et on s'attache à ce personnage fort mais touchant. Lui donner vie était un pari osé, Rooney Mara le fait avec aisance. Elle est Lisbeth, cela ne fait aucun doute.

Quant à Blomkvist, l'autre personnage central de l'histoire originelle, il s'efface devant cette femme forte qui capte tous les regards. Complètement dominé par sa frêle assistante, jusque sous la couette d'ailleurs, il se laisse littéralement soumettre au bon vouloir de cette dernière. Bien plus passif que dans le bouquin, il est néanmoins également servi par la belle partition de Daniel Craig qui sait se faire suffisamment humble pour ne pas rendre trop physique ce journaliste dont l'avantage est bien plus mental.

D'un point de vue narratif, l'adaptation de Fincher impressionne. On ne voit pas passer les 2h30 du film tant on se fait embarquer dans cette tranche de vie qui sent bon l'authenticité. Le cinéaste sait la parsemer d'un mystère sinon passionnant vraiment intriguant, qui réussit le pari de passer au second plan. C'est peut être ce qui a dérouté pas mal de monde finalement, cette volonté du réalisateur de ne pas se focaliser plus que de raison sur une intrigue un peu limitée mais de l'utiliser avec subtilité pour construire ses deux personnages centraux.

Si l'écriture de Millenium en fait un film remarquable, ce n'est pourtant pas sa carte maîtresse. C'est bel et bien ce travail virtuose fait sur l'image et ses déclinaisons que Fincher prouve une nouvelle fois tout son talent. S'armant du génial Jeff Cronenweth à la photo, il nous propose une véritable oeuvre d'art visuelle. Les yeux équarquillés, on laisse nos rétines se repaître de cette créativité généreuse qui transpire de chaque couleur, de chaque composition d’image. Millenium possède cette force graphique caractéristique du cinéma de son auteur. Ce dernier annonce d'entrée de jeu la couleur avec ce générique fantastique, inspiré comme jamais, sonnant comme une mise en bouche de haute voltige avant d'entamer le repas du chef.

Millenium, les hommes qui n'aimaient pas les femmes est bien plus qu'une adaptation. C'est un véritable tableau visuel délesté de toute obligation vis à vis d'une oeuvre originelle qui n'est pourtant jamais oubliée. Un vrai tour de force par lequel Fincher allie son génie de l'image et sa géniale vision de l'être humain. Plus que jamais ici, il décortique les êtres pour nous les livrer au grand jour et se laisse aller à en aimer un plus que les autres. C'est cette impression d'avoir assisté à la naissance d'un personnage atypique pourtant authentique mais également d'une grande actrice - et plein de jolies images en tête de son corps si souvent magnifié par Fincher - qu'on finit le film.
oso
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le 1 mars 2014

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