Monstres & Cie
7.5
Monstres & Cie

Long-métrage d'animation de Pete Docter, David Silverman et Lee Unkrich (2001)

Devant nos yeux curieux s'ouvrent les portes de Monstropolis. Cité perdue dans les innombrables univers parallèles que le cinéma eut l'audace de créer, ses portes, ses inquiétudes concentrées et sa bizarrerie burlesque. Le quatrième film du meilleur studio d'animation au monde commence et il vient à peine de délivrer toutes les clés thématiques qui berceront chacun de ses films jusqu'à aujourd'hui. Comprendre pourquoi Monstres et Cie est l'un des plus beaux, sinon le plus beau film de l'usine à rêves n'est pas seulement un appel aux sentiments qu'il procure, mais aussi à la cohérence d'un style visuel, narratif et philosophique qui fera la marque de chaque film estampillé Pixar. Celle des rêves inquiets qui se questionnent sur la mort, le temps, l'enfance et la disparition de l'homme dans une société qui va vite, très vite, trop vite, et qui se perd loin de ses capacités.
En dehors de quelques thèmes basiques qui sont ceux du courage, du dépassement de soi, de l'amitié en général, qui sont déjà des thèmes louables et toujours impeccablement exploités, avec simplicité et poésie, dans le films de l'écurie Pixar ; ils se cachent dans chacun d'entre eux un questionnement plus complexe et plus sombre. Qu'ils aillent de la formation de personnages de par la personnification d'objets (Toy Story, WALL-E), par un simple anthropomorphisme (Nemo, 1001 pattes), une création de "gueules" directement venue de l'imaginaire (Monstres et Cie, donc) ou de figures approchantes de ce que nous sommes (Les Indestructibles), le studio à toujours fait de la recherche de l'être humain un thème phare et toujours subtilement présent. Comme si tous ces mondes étaient conscient de leur propre clôture et de repli sur eux mêmes par rapport à notre monde, celui des humains, cherchant donc à l'approcher, le cerner, le comprendre, parfois en vain (Nemo, Les Indestructibles) parfois en portant ses fruits (WALL-E), parfois dans une certaine forme de stabilité qui prend en compte les différences (Toy Story 3) ; pouvant s'incarner dans une recherche de partage des sentiments humains (La volonté de WALL-E par exemple n'est rien d'autre que celle de comprendre l'amour, la passion, la douleur et la joie que ressent un être humain), ou simplement d'amitié (La saga Toy Story en est l'exemple le plus concret), de normalité (Pour Elastigirl dans les Indestructibles, humanité est égal à normalité, tranquillité), de compréhension d'une menace qui nous fait peur (Nemo, Ratatouille) ou de confrontation à la mort d'un être cher (Là-Haut). S'il est nécessaire d'avoir vu Monstres et Cie pour comprendre pleinement que cette thématique étrange est le noyau dur de toutes les expériences narratives du studio, c'est parce jamais autant un film ne s'était posé cette question si explicitement.
Très vite dans le film, on comprend l'inquiétude et la tragédie de cette cité perdue dans les niveaux de réalité, par le biais de Jack Sullivan, a qui tout réussi, mais qui semble nous faire voir un certain ennui, une lassitude, causée par ce cycle interminable de journées qui vont de leur point A à leur point B sans permettre le frisson, la passion, l'amour : bref, tout ce qui forme la vie. La vérité, c'est que Monstropolis est un monde sans enfant. L'enfant, ici, n'est en quelque sorte qu'un fournisseur d'énergie, qui n'existe pas en temps qu'être humain. Sullivan ne connait pas l'enfance. Il ne connait que la forme de leur visage et de leur corps. Il est perdu dans ce monde régi par une force administrative inhumaine (les fameux rapports à rendre à Germaine) et une peur paranoïaque et soucieuse ("23 19 !!") de ce qui sort de l'ordinaire, c'est à dire, dans le contexte du film, de la ville de Monstropolis. On pourrait y voir une allégorie de notre monde à nous, ce qui n'est d'ailleurs pas totalement faux. Mais l'humain ici, ils étaient les passagers de l'Axiom dans WALL-E, les plongeurs sadiques de Nemo, les tueurs de rats sanguinaires de Ratatouille ; n'est qu'une fillette qui n'a rien d'autre à partager que son innocence. Ainsi la rencontre entre Sulli et Bouh, sortie de sa porte au contraire de la règle, va semer le trouble. Que faut-il faire avec cet être humain maintenant qu'il est là ? Que faut-il déduire de son sourire et de ses éclats de rire soudain ? Sulli le comprend tout de suite : il faut lui donner de l'amour et accepter l'amour qu'il nous offre. A la fin, le passage de porte en porte pour retrouver Bouh est plus qu'une grande scène d'aventure. C'est la quête presque à portée mythologique d'une humanité qui manque et qu'il ne faut pas perdre. C'est la quête de l'innocence et de la naïveté de l'enfance. De ce qui aura donné aux monstres le pouvoir de croire que pour vivre, il ne faut pas forcément effrayer, hurler, terroriser, mais aussi rire et aimer.
Le dernier plan est ce que Pixar a fait de plus beau jusque là. Ce n'est pas un happy-end, c'est juste le cours de la vie. C'est un personnage qui retrouve et qui regarde, comme dans un miroir, sa propre conscience, celle d'un être humain, trop bleu et trop poilu tout de même, dont le cœur bat et se passionne. Il entend alors sa conscience s'appeler par le nom le plus tendre au monde, et alors sourit d'un sourire éclatant - "Minou !". Si on pleure tant devant cette scène, c'est parce qu'il se passe sous nos yeux ce qu'on avait tous rêvé qu'il se produise, inconsciemment, durant le film : voire l'enfance envahir ce monde trop adulte et l'humaniser un peu, humblement, doucement, tendrement.
B-Lyndon
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films d'animation Pixar

Créée

le 15 août 2013

Critique lue 709 fois

10 j'aime

2 commentaires

B-Lyndon

Écrit par

Critique lue 709 fois

10
2

D'autres avis sur Monstres & Cie

Monstres & Cie
Walter-Mouse
8

Ils font peur et ils le font bien

Suite à la production catastrophique de Toy Story 2, John Lasseter est complètement lessivé et décide de laisser sa place de réalisateur à Pete Docter, déjà dès 1990 un des piliers du Studio Pixar et...

le 7 mars 2016

36 j'aime

18

Monstres & Cie
villou
8

ôte moi ta bouh du plancher où je pique une crise !

Je me souviens à l'époque, la sortie avait été retardée car Pixar venait d'acquérir la technologie qui permettait d'animer les poils des monstres un par un. Je pense qu'ils ont eut raison. Comme...

le 11 déc. 2010

33 j'aime

6

Monstres & Cie
Gand-Alf
7

Vous faire peur nous tient à coeur.

Passé le cap de la révolution technique de leur premier film, les magiciens de Pixar se la jouaient relativement relax en terme de défi (ce qui n'enlève absolument rien à leur incroyable talent),...

le 14 juin 2014

30 j'aime

Du même critique

The Grand Budapest Hotel
B-Lyndon
4

La vie à coté.

Dès le début, on sait que l'on aura affaire à un film qui en impose esthétiquement, tant tout ce qui se trouve dans le cadre semble directement sorti du cerveau de Wes Anderson, pensé et mis en forme...

le 3 mars 2014

90 j'aime

11

Cléo de 5 à 7
B-Lyndon
10

Marcher dans Paris

Dans l'un des plus beaux moments du film, Cléo est adossée au piano, Michel Legrand joue un air magnifique et la caméra s'approche d'elle. Elle chante, ses larmes coulent, la caméra se resserre sur...

le 23 oct. 2013

79 j'aime

7

A Touch of Sin
B-Lyndon
5

A Body on the Floor

Bon, c'est un très bon film, vraiment, mais absolument pas pour les raisons que la presse semble tant se régaler à louer depuis sa sortie. On vend le film comme "tarantinesque", comme "un pamphlet...

le 14 déc. 2013

78 j'aime

44