Cette année on ne sera pas sur la croisette mais nous allons essayer malgré tout de voir un maximum de films présentés lors de ce 65e festival par l'intermédiaire des sorties de la semaine ou d'avant-premières sur Paris. Et alors qu'il faisait l'ouverture ce mercredi, nous avons pu découvrir il y a peu Moonrise Kingdom du surdoué Wes Anderson. Surdoué, oui, le terme n'est clairement pas galvaudé. Car il suffit de se pencher sur la filmographie du réalisateur Texan pour prendre conscience de l'ampleur de l'œuvre déjà établie et surtout de son parcours sans faute. Bien loin du schéma Hollywoodien, Anderson au fil des années s'est construit son univers, ses thématiques récurrentes et surtout sa réputation. Une sorte de Michel Gondry à la version US. Alors forcément, lorsque sa dernière œuvre s'offre peut-être la plus belle avant-première au monde possible, il a matière à nourrir de grandes espérances.

Après un détour par le cinéma en stop-motion avec l'excellent Fantastic Mr Fox qui s'adressait à un public plus jeune et ce sans perdre les pivots de sa narration si particulière, Anderson revient cette fois-ci avec un film « avec des enfants ». Car ne nous y trompons pas, si le casting très paillette a déclenché l'euphorie à Cannes, c'est bel et bien les deux plus jeunes membres (parfaitement dirigés) qui demeurent au centre de notre histoire. Une histoire en forme de conte mélancolique sur la jeunesse et de sa confrontation perpétuelle au monde des adultes. Présenté comme cela, on pourrait imaginer quelque chose de simpliste, voire de niais, mais n'est pas un poète qui veut et encore moins l'un des réalisateurs les plus singuliers du moment. Car de Moonrise Kingdom résulte une œuvre dans la plus pure veine des précédentes réalisations d'Anderson. Avec à son bord nombre de ses acteurs fétiches, Bill Muray en tête, le film va suivre la fugue de deux enfants aux portes de l'adolescence sur cette île de la Nouvelle Angleterre. Car ces deux enfants « à part » chacun de leur côté, mis de côté par une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas malgré leur âge vont bousculer les barrières imposées pour s'en affranchir. Une résulte un voyage, une quête de liberté et d'amour dans la plus pure forme qui soit.

Et parce que la réalisation arrive à capter l'essence de cette pureté, l'adhésion pour le propos est immédiate et l'immersion totale. Une immersion confortée par une véritable maîtrise du cadre et de la photographie et ce de manière encore plus flagrante que dans ses précédents films. Car au-delà du simple fait du scénario, la réussite de Moonrise Kingdom tient aussi voire surtout à la capacité d'Anderson à composer des images d'une rare beauté. Avec son teint jaunâtre, rappelant presque un vieux cliché photographique pour lequel on éprouve une nostalgie immédiate, le film est visuellement somptueux. On ressent le travail sur chaque plan, la recherche de la composition parfaite, une symétrie omniprésente, un effort sur les arrière-plans régulier. Par bien des aspects, Moonrise Kingdom peut s'apparenter à une grande peinture vivante tant la volonté de faire de chaque plan, chaque image, chaque segment répond à l'aboutissement d'une recherche visuelle évidente.

Et c'est par la réalisation et par l'image plus que par les dialogues que le réalisateur distillera l'essence de son propos, la confrontation entre deux mondes. Celui des adultes, froid, rigide face à celui des enfants, libre, heureux. Il suffit d'un plan, celui d'ouverture multipliant les travelling en plan séquence au sein de la maison des Bishop ou d'un travelling latéral sur la table des scouts pour évoquer les règles, ce monde convenu fait d'obligations et de conformisme. Plus que la tristesse des individualités chez les adultes, c'est surtout le poids de la vie qui apparait d'elle-même comme l'inhibiteur de cette véritable envie de profiter de chaque instant. Chaque adulte à l'exception de Schwartzman qui apparait plutôt sur la fin du récit semble porter la vie comme un véritable fardeau, presque rongé par les années de désillusion ou de résignation.

Et lorsqu'il valorise ce besoin salvateur de liberté pour les enfants, ce besoin de vivre à leur tour la grande aventure, fussent-ils âgés de 12 ans, Anderson le fait de manière toujours intelligente et respectueuse. Car Moonrise Kingdom aborde la question avec une sensibilité telle qu'elle balaye d'un revers de manche les conventions établies par une société modelante. Ainsi, lorsque les deux enfants sont amenés à s'embrasser ou à se toucher comme des « grands », ce n'est ni voyeur, ni complaisant ou vulgaire. C'est simplement un amour, simple, vrai, naturel qui s'exprime.

A travers Moonrise Kingdom, Wes Anderson transcende finalement le propos de départ permettant à son film de n'être ni plus ni moins que sa meilleure réalisation jusqu'à présent, du moins au même niveau de puissance évocatrice que The Darjeeling Limited. Avec en son coeur le pouvoir de l'imagination des enfants, leur capacité à franchir les barrières dans les situations complexes simplement car ils n'ont pas encore été pervertis ou bridés par la société, son nouveau film trouve des points évidents de convergence avec le cinéma de Spielberg même si la forme diffère. C'est très beau, émouvant, drôle, sincère et tellement pur que ça ne peut être qu'indispensable. Le festival pouvait difficilement s'ouvrir mieux !
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le 18 mai 2012

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Mathieu  CRUCQ

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