Les illusions de l'innocence et les désillusions de la déchéance
J'ai toujours été fan de Wes Anderson. Là je suis content pour lui car le film est sorti depuis pas longtemps et il est déjà rentable! Ce qui est plutôt rare pour un Wes Anderson. En général le film est un échec au cinéma et les prod tentent de rattraper le coup (coût) grâce aux ventes de dvd.
Darjeeling Limited m'avait donné une impression de film personnel comme jamais l'auteur n'avait pu le faire auparavant. Puis s'en est suivi un Fantastic Mr Fox des plus divertissant. Contre toute attente Moonrise Kingdom m'a semblé être un retour au sujet personnel. Pas seulement au point de vue des gosses puisque pas mal de choses ont l'air totalement inventées (ces fugues improbables, cette camaraderie étonnante), mais bien dans la réaction des adultes, qui vole d'ailleurs la vedette aux enfants dans la seconde moitié. Oui ici Wes confronte le monde magique de l'innocence aux désastres de la vie adulte. On est là en pleine tragicomédie. Un monde où les adultes ne savent plus trop c'est quoi aimer, alors que cela paraît si évident pour les enfants. Heureusement le message de Wes n'est pas complètement pessimiste au vu des changements que cette aventure opèrera auprès des personnages secondaires.
Pour la mise en scène, c'est avec joie que je constate que Wes abandonne en partie sa technique reconnaissable qu'il avait transcandée dans Mr Fox ; en effet, ses travelling latéraux n'auront jamais été aussi parfaits, et c'est bien qu'il y mette un terme pour la suite, comme s'il avait passé une étape de sa carrière. Car oui, des mouvements de caméras si particuliers, il y en aura moins, Wes est plus dans la caméra épaule, discrète. Enfin... discrète.... Wes n'est pas fan de la première vague pour rien. Il cache d'ailleurs de moins en moins ses influences. Du coup des trucs bizarres et atypiques, il y en a (travelling latéraux toujours rpésents mais moins). Un jeu de zoom assez extraordinaire aussi. Je constate donc que Wes, s'il ne réinvente pas le langage cinématographique (oui faut pas exagérer il n'invente rien), décide simplement de combiner des 'mots' du cinéma de façon inhabituelle, tout en restant grammaticalement correct. La mise en scène de Wes me paraît toujours être un énorme terrain de jeu expérimental. C'est d'ailleurs ça qui est brillant et bandant, parce que qui dit expérimental dit aussi tests ratés... Et ces maladresses donnent une force au film car Wes ne les cache pas. Ses zooms sont parfois ringards, ça casse parfois le rythme mais en même temps ça participe de la magie formelle du film.
Ceci dit il est difficile de séparer la forme du fond dans un film de Wes Anderson. L'auteur aime écrire ses séquences en fonction de la mise en scène et vice versa. Des bizarreries dramaturgiques il y en a aussi. Puis par moment on dirait qu'il applique à la lettre des règles, mais de façon tellement maladroite que ça en est bizarre. Ainsi, pour éviter les téléphones ou le deus ex machina, il est toujours bon de préparer la scène à l'avance, en introduisant les éléments au préalable. Ainsi, l'introduction du personnage de Harvey Keitel est la plus bizarre que j'ai pu voir récemment.
Enfin je terminerai sur le regard caméra de Suzy. En général je déteste ce procédé faisant toujours référence aux 400 coups, et surtout toujours trop lourd de sens (au point que ce soit ringard). Sans doute parce que le plus souvent, c'est le dernier plan du film et en plus accompagné d'un freeze. Ici, le regard caméra s'opère en début de film. Ce qui apporte un tout autre sens à cette action. Et surtout, c'est moins pompeux. En plus, Wes filme ça avec discrétion et non prétention. Il fallait le faire!
Bref, Wes m'impressionne de plus en plus à chaque film. C'est d'ailleurs ralant car Darjeeling était pour moi son film parfait, d'où l'en vie d'y coller un 10/10, et maintenant je constate que celui ci est meilleur encore... Frustrant non? Bon ben je mets 10/10 aux deux! EN tous cas, Moonrise Kingdom est un bijou de narration et de technique qui possède le charme de ses jeux et de ses maladresses.