Moonrise Kingdom par Gaël Barzin
Moonrise Kingdom du tout aussi talentueux qu'intriguant Wes Anderson a fait l'ouverture du Festival de Cannes 2012. Anderson continue a charmé avec son univers décalé et immersif et collabore, ici, au scénario avec Roman Coppola. Son premier essai avec la « stop-motion » de l'excellent Fantastic Mr Fox restant encore en mémoire, on se retrouve avec un climat très similaire dans ce charmant Moonrise Kingdom. La ressemblance se fait surtout sur le flegme général des personnages, qui peut donner une certaine froideur et distance mais qui s'avère plus être un choix stylistique plutôt qu'une maladresse. Une empreinte historique particulièrement américaine avec une précision et un humour un peu britannique, c'est ce qui ressort, encore après la sortie de salle, du nouvel Anderson.
Moonrise Kingdom est de ces contes semi-modernes qui fait évoluer des personnages dans une sorte de huit-clos, dans le cas donné une île américaine un peu à part, où la vie semble si simple et si compliquée à la fois. Après plusieurs travellings horizontaux maitrisés et présentant les différents membres de la famille Bishop, on tombe sur l'héroïne, Suzy, taciturne mais curieuse. La mélancolie et le sarcasme cohabite en permanence. De l'autre côté, Sam, un scout déserteur mais néanmoins autonome et futé, disparait subitement. Le film base tout sur cette légère et attendrissante amourette entre les deux enfants qui se traduit par la fuite d'un univers sclérosé d'adultes dépressifs et solitaires.
Le visuel est particulièrement soigné et l'ambiance des années 60 est fort bien rendue : des vêtements à l'attitude singulièrement puritaine des personnages adultes. La musique, elle, est toujours importante pour Wes Anderson et l'on sent que le choix se fait souvent de façon très réfléchie. On retrouve ainsi, en plus d'une nouvelle collaboration, peut-être moins expressive que pour Fantastic Mr Fox, avec le génialissime Alexandre Desplat, l'intégration de plusieurs morceaux de l'icône du Country : Hank Williams, qui sans représenter l'époque décrite, s'intègre parfaitement bien dans l'ensemble et donne, avec son « Kaw-Liga » et sa rythmique un peu indienne, un ton très proche d'une communication avec la nature que l'on retrouve dans l'éthique des scouts. « Le temps de l'amour », de Françoise Hardy, est l'intégration la plus en phase avec la période des années 60. Il est toujours surprenant de voir un film américain utilisé une chanson d'origine étrangère. Les paroles, simplistes s'il en est, sont tout à fait en phase avec la bulle que se crée Suzy et Sam lors de leur escapade. C'est le temps de l'amour, de l'insoucieuse, et comme le dit Hardy, de l'aventure. Pris aux mots, Anderson a donc particulièrement bien choisi ce morceau qui, sans le vouloir, rentre dans le même genre d'ambiance décalée que le reste de la bande sonore.
On notera la naturelle surprise de voir apparaître quelques têtes particulièrement connues. Si Bill Murray semble être définitivement "l'égérie" du cinéaste, on retrouve ici un Edward Norton et un Bruce Willis... bien à l'étroit dans leur costume sur mesure mais en parfaite adéquation avec leur rôle. Un réel plaisir de voir des interprétations à contre-sens, preuve d'une audace et d'un jeu qui se veut radicalement différent. L'apparition de Bob Balaban, en tant que narrateur à la sauce "Arte", donne un côté encore plus décalé à l'ensemble.... Anderson nous surprend à chaque fois, c'est une certitude !
Moonrise Kingdom est une représentation de l'émancipation d'un monde mis sur pause. Il a été des plus surprenant de voir ce traitement à l'envers proposé par Anderson : en effet, les adultes semblent moins raisonnés que les enfants. Une belle épopée, légère et tendre, qui montre qu'Anderson arrive une nouvelle fois à se démarquer de la concurrence. On attend le prochain voyage avec impatience.
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