Mulholland Drive par 0eil
Le premier contact avait été plutôt douloureux. Mais dans le bon sens - s'il y en a un. Sans réellement saisir le message ou les enjeux, j'avais juste apprécié le spectacle, apprécié la façon dont le mystère est construit avec cette capacité si particulière de laisser entendre que tout cela est terriblement cohérent. Qu'il s'agit d'un véritable mécanisme, très bien huilé, qui amorce ainsi une issue forcément fatale. Le second visionnage se fait plus de dix ans après le premier et depuis, j'ai vu un peu plus du réalisateur. Du coup, j'y perds en émerveillement ce que je gagne en attention. Pour la construction du récit, des personnages et finalement, du mystère. Mais bon, revenons au début, avec l'histoire de Rita, belle prune, pin-up amnésique suite à un accident de voiture en pleine Mulholland Drive. Elle va tomber sur Betty, jeune actrice prometteuse, avec un talent énorme. La blonde Betty va l'aider à enquêter sur son passé, tout en tentant de percer à Hollywood. Pas facile, d'autant lorsque l'on voit, en parallèle, le parcours semé d'embuches d'Adam Kesher, réalisateur qui se voit imposer une starlette par une étrange mafia. Et il y a aussi un Winkie's, mais on y reviendra plus tard.
Dans mon souvenir, il y avait deux choses de très importantes sur ce film : son érotisme de folie, avec deux actrices talentueuses (mais surtout chapeau bas à Naomi Watts) et parfaitement plantureuses. Forcément, l'attrait de leurs plastiques avait été un des éléments déterminant pour le visionnage. L'autre chose dont je me souvenais, c'est que j'avais flippé assez souvent. D'emblée, il y a une ambiance que j'ai bien aimé, celle d'un mystère à ne pas révéler, qui attire ineffablement nos deux héroïnes tout en sachant qu'elles courent à leur perte si jamais le secret est éventé. Là dessus, le film a toujours bien fonctionné : j'ai fini par rallumer la lumière - je sais, je suis vraiment peureux. Mais il y a cette horrible scène du Winkie's où un homme confie à son ami ce cauchemar particulier où il est terrifié par un homme bizarre qui se trouve derrière le diner en question. Je me souviens que j'avais été fasciné par la façon dont la caméra se pose et filme tout en décalage. Dont le son est traité : en plein diner, on entend aucun bruit de fond, personne. Et dont la séquence se concluait. Et ben elle m'a fait tout aussi peur que la première fois. L'autre séquence qui m'avait bien inquiété : lorsque les deux femmes parviennent au domicile de Diane et y entrent.
Au-delà de ces deux séquences et de la façon dont elles rappellent que la réalité est tangible, sensible et surtout fluctuante - chez Lynch - il y a ce puzzle étrange. Si j'ai été à la fois amusé et intrigué par le chemin de croix d'Adam, j'avoue que d'autres pièces m'ont paru superflues. On se retrouve à un moment de l'histoire avec une addition de séquences dont l'intérêt général pour l'intrigue est très diffus. Cela doit sans doute venir de la genèse du film, prévu pour être le pilote d'une série à l'origine. Ce n'est qu'un défaut très mineur, évidemment, puisque bien vite, on retombe sur nos pattes et l'on découvre le pivot du film. Ce n'est un secret pour personne - je pense - que le film est composé de deux parties distinctes. C'est une autre chose que de le voir jouer et la question - à mon sens - reste poser de savoir s'il était intéressant d'adjoindre sa solution à une énigme posée sur plus d'une heure et demi.
J'avoue, personnellement, j'ai trouvé cela intéressant. J'ai lu une théorie narrative sur la construction d'une enquête policière, un jour, qui expliquait qu'il doit y avoir, en réalité, deux histoires : l'histoire du crime et l'histoire de l'enquête. L'histoire du crime est l'histoire capitale, la plus importante, puisque l'enquête n'en est finalement que l'écho. Mieux, l'enquête est l'histoire du lecteur tentant de recomposer un récit qui se recompose lui-même. Seulement voilà, jamais, dans un récit policier, le récit initial, le crime, n'est livré tel quel : il n'est rendu que dans le prisme de l'enquête et peut ainsi paraître plus ou moins sibyllin selon la volonté de l'auteur. Ici, pour une fois, on vous livre le crime et l'intérêt n'est plus alors de comprendre la motivation mais plutôt d'y regarder comment l'enquête - fantasmée - s'est construite pour chasser au plus loin la vérité. Et finalement, il y a quelque chose d'extrêmement ludique, comme un véritable film interactif, à consacrer quand même trois quart-d'heures de visionnage pour saisir plus clairement la structure narrative d'un film. Au final, on recompose le puzzle et chaque pièce se complète avec une cohérence assez fascinante.
Bon, le souci, c'est que c'est un film. Et que si on entre pas du tout dans cet étrange parti-pris de concevoir réellement et pleinement le métrage comme une énigme dont on livre la solution, eh ben on s'ennuie certainement. D'autant que personnellement, je passe d'Eraserhead où la photographie tuait grave à Mulholland Drive où j'ai trouvé cela déjà plus classique, moins fouillé. Peut-être plus orienté pour le support initial, à savoir la télévision. Enfin, malgré tout, ,j'ai trouvé ça intéressant d'avoir un film de Lynch qui livre sa clé de compréhension - et de ne pas être obligé de fouiller le net pour trouver une explication plausible. Cela rend en prime le travail d'architecture de la narration plus fascinant encore (le jeu sur la clé et la boîte bleues) ou encore les mécanismes entre les acteurs (la relation Betty/Rita puis Diane/Camilla, avec l'inversion des rapports de dépendance). En gros, c'est comme de voir un Lynch, puis d'avoir l'explication, dans un style cohérent avec l'oeuvre initiale, qui se révèle progressivement sans prendre le spectateur pour un idiot. C'est toi, mon pote, le détective privé, qui descend dans les bas-fonds d'Hollywood pour y révéler sa corruption. Et quel film noir peut avouer en faire autant ?