Mulholland Drive est pour moi un film fascinant et troublant.

J'étais allée le voir au ciné, on m'avait prévenue que le film était incompréhensible. Au départ tout allait bien, j'étais contente car je comprenais tout en fait, mais à la moitié du film patatras, il s'est passé tout à coup une sorte de renversement, et là je n'ai plus rien compris, mais rien de rien, les personnages ne portaient plus les mêmes noms, n'avaient plus les mêmes métiers, bref j'étais totalement larguée. Du coup je suis sortie du ciné en n'ayant rien compris finalement. Donc dès le film est sorti en dvd je me suis ruée dessus, histoire de le reregarder une nouvelle fois et essayer de comprendre l'histoire quoi (je déteste ne pas comprendre). Donc je l'ai vu une nouvelle fois et là j'ai commencé à voir certaines choses d'une autre manière, puis j'ai compris encore de nouvelles choses au visionnage suivant. Bref. Voilà ce que je trouve intéressant dans ce film : il n'y a pas une seule explication claire et définie (Lynch l'a dit lui-même d'ailleurs), on voit un peu ce qu'on a envie de voir dans son film et à chaque visionnage on découvre un truc qu'on avait pas remarqué avant. Peu de gens le voient de la même manière, et on trouve toujours, à chaque nouveau visionnage, un nouveau détail qu'on n'avait pas remarqué. Peu de films peuvent s'en vanter.

Alors voici donc mon interprétation. Pour moi, le film se découpe en deux parties séparées par la boîte bleue, la boîte bleue c'est la clef.

La première partie, je la considère comme une sorte de rêve-délire de Bette/Diane juste avant de mourir. Elle vient de se tirer une balle et est en train d'agoniser dans son lit, et là elle rêve que sa vie se serait déroulée d'une autre manière, une autre vie dans laquelle tout lui aurait réussi : elle aurait eu Rita/Camilla, elle aurait eu du talent, elle aurait été appréciée de tous, une belle maison etc. D'ailleurs la première partie commence juste après qu'on ait vu un plan brouillé dans un lit se rapprocher d'un oreiller.

La seconde partie c'est pour moi la réalité qui refait surface. Une réalité dure, tragique et surtout moins dorée : Diane/Bette voulait être actrice, mais n'ayant aucun contact dans le milieu du ciné et n'ayant pas plus de talent que ça, elle a échoué et s'est retrouvée à vivre une petite vie. Elle est amoureuse de Rita/Camilla qui l'a laissée tomber au nom de sa réussite : elle l'a larguée pour le réalisateur, pour sa carrière. En gros les personnages sont tout l'inverse de ce qui s'est passé dans la première partie : Diane/Bette n'est plus candide et parfaite, mais elle est amère, et a tout raté dans sa vie ; Rita/Camilla n'est pas pure et innocente, mais au contraire calculatrice. D'ailleurs dans cette seconde partie on remarque que le prénom de Bette avait été lu par Diane sur le badge d'une jeune fille. Bette est un personnage fictif, un personnage rêvé. Cette partie se termine par Diane/Bette qui se tire une balle, la fin du film est finalement comme le début, car c'est là que le rêve-délire commence.

Plusieurs indices tout au long de la première partie nous disent que ce n'est pas la vérité, comme si on tentait de nous ouvrir les yeux. Comme si la réalité tentait de s'insérer dans le rêve de Diane/Bette, pour lui faire comprendre que ce n'est qu'un rêve :
- La boîte bleue. La boîte bleue est pour moi la pièce pivot du film. Elle semble représenter la vérité. Une fois qu'on l'a ouverte, la première partie, le rêve n'a plus lieu d'être, puisque la vérité a refait surface. Au milieu du film on plonge à l'intérieur et on se retrouve dans un univers différent, bye bye le rêve où tout est parfait et bonjour à la réalité dans laquelle tout va de travers.
- La vagabonde ; pour moi elle personnalise en quelque sorte encore une fois la vérité, elle représente la véritable nature de Diane/Bette (qui a tout de même payé un tueur à gage pour éliminer celle qui la faisait souffrir, Rita/Camilla). Et pour moi toute l'histoire avec le type dans le Winkie n'est pas innocente. Cet homme qui a rêvé de quelque chose derrière le Winkie mais qui a peur d'y aller, finalement c'est comme Diane qui refuse de voir la vérité en face ; mais une fois que l'homme a vu la vagabonde, c'est comme si Diane s'était regardée dans un miroir et n'avait pas supporté ce qu'elle y avait vu.
- L'enquête sur l'accident de Rita/Camilla. C'est comme si encore une fois Bette/Diane tentait de voir la vérité en face mais n'y parvenait pas. Et tout au long de l'enquête on peut voir des indices sur la vérité : la voix de Diane sur le répondeur (qui est en fait Bette), la clef bleue qui mine de rien a son importance, car elle est liée au meurtre, etc.
- Le Club Silencio et sa fameuse chanson. Diane a fait tout cela par amour pour Camilla, qu'elle n'oubliera et ne pourra jamais oublier. C'est à ce moment-là que tout commence à dérailler, comme une prise de conscience : Rita/Camilla commence à trembler et elles ouvrent juste après la boîte, nous ramenant à la réalité, une réalité toute autre.

Donc voilà pour moi l'histoire débute à la fin du film. Diane est une actrice ratée. Elle vit dans le souvenir de Camilla qui l'avait larguée pour un réalisateur, pour sa carrière. Elle a par la suite eu une nouvelle copine, que l'on peut voir à un moment, mais elle ne peut oublier Camilla qui la hante. Camilla qu'elle a d'ailleurs fait assassiner en payant un petit tueur. Elle vit donc à la fois dans le souvenir de la femme qu'elle aimait et dans la culpabilité de l'avoir fait tuer, mais aussi dans l'amertume de sa désillusion par rapport au système du cinéma. Aussi à la fin du film elle se suicide, rongée par tout cela ; c'est là que débute une sorte de rêve-délire juste avant de mourir, Diane rêve la vie qu'elle aurait rêvé vivre justement. Dans ce rêve toutes les personnes qu'elle connaît sont là, mais sous une identité différente et un rôle différent. Diane n'est plus elle mais Bette, une jeune fille candide et talentueuse ; Camilla, la femme de sa vie, est là également bien sûr, mais sous l'identité de Rita, on a voulu lui faire du mal, mais Bette est là pour le protéger et pour l'aider. Dans ce rêve, tout lui réussit. Mais voilà le propre des rêves, c'est leur côté temporaire et illusoire, et petit à petit le doré s'effrite pour laisser entrevoir la réalité, une réalité moins dorée et plus dure.

Autre élément que je trouve intéressant, c'est tout le côté critique du monde du cinéma et du système hollywoodien ; dans le rêve Bette/Diane veut croire que l'on ne réussit que grâce à son talent, mais tout au long de cette partie on peut voir que des gens de l'ombre tirent les ficelles et utilisent les acteurs et réalisateurs comme on utiliserait des pantins. Dans la seconde partie, Diane/Bette a pleinement conscience du côté pourri du système : elle a vu Camilla/Rita réussir en couchant avec le réalisateur et n'a pas réussi elle-même à percer à la fois par manque de talent, mais surtout par manque de contacts.


Ce film c'est comme une grande enquête, il y a des indices semés un peu partout et c'est à nous de les rassembler pour construire notre propre vérité. Voilà pourquoi je l'adore autant : il représente un grand terrain de jeu.
Gargali
10
Écrit par

Créée

le 27 août 2011

Critique lue 564 fois

7 j'aime

Gargali

Écrit par

Critique lue 564 fois

7

D'autres avis sur Mulholland Drive

Mulholland Drive
Sergent_Pepper
9

“It’s no longer your film”

Mulholland Drive est un lieu emblématique d’Hollywood, une route passant par une colline du haut de laquelle on nous offre un surplomb sur la ville et ses artères lumineuses. L’une d’elle, saignée...

le 19 janv. 2014

186 j'aime

12

Mulholland Drive
Grard-Rocher
9

Critique de Mulholland Drive par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En pleine nuit sur la petite route de Mulholland Drive, située en surplomb de Los Angeles, un accident de la circulation se produit. La survivante, Rita, est une femme séduisante qui parvient à...

166 j'aime

35

Mulholland Drive
Anna
4

Critique de Mulholland Drive par Anna

Probablement un des films les plus chiants du monde, où on essaie d'être assez intello pour en dire du bien tout en se gardant d'aller plus profond dans la critique de peur de passer pour un con qui...

Par

le 19 juin 2010

154 j'aime

44

Du même critique

Mulholland Drive
Gargali
10

La Vie rêvée désenchantée

Mulholland Drive est pour moi un film fascinant et troublant. J'étais allée le voir au ciné, on m'avait prévenue que le film était incompréhensible. Au départ tout allait bien, j'étais contente car...

le 27 août 2011

7 j'aime

This Must Be the Place
Gargali
6

Coup de fatigue ?

Mouais, bof... Voilà l'impression mitigée que m'a laissée le film sitôt la projection terminée. Le film est visuellement très réussi, pourtant l'ensemble (la faute à un scénario plutôt décousu ?)...

le 14 sept. 2011

5 j'aime

Maus : L'Intégrale
Gargali
10

Un chef d'oeuvre plein d'humilité et de touches d'humour

Maus est une oeuvre qui fascine par la force du discours véhiculé et qui surprend en vertu de la justesse de la représentation de la période. Et tout le monde sait à quel point s'attaquer au gros...

le 24 août 2011

3 j'aime