Qu'est-ce qui fait qu'un film puisse nous faire changer d'avis dans ses derniers instants ? Qu'est-ce qui fait qu'une fois l'écran éteint, en repensant à un film que l'on vient de terminer, on peut se dire que c'était finalement pas si con ?
La réponse est simple : je pense qu'une oeuvre cinématographique ne trouve sa véritable identité qu'avec sa conclusion, car c'est un tout, un tout qui s'accomplit au fur et à mesure que le film avance. L'occasion pour un chef-d'oeuvre de se finir en apothéose et pour un film décevant de s'achever sur quelques belles notes pour embellir sa partition.
Polisse est de ceux-là, ces films qui ne prennent leur véritable sens qu'avec l'arrivée de leur dénouement.
Car Polisse est un film étrange. Le milieu qu'il traite (peu exploré au cinéma), son rythme ultra-speedé et son côté cru des dialogues en font une réalisation innovante, exemple d'audace et de style. La mise en scène de Maïwenn tend même vers une certaine imitation séduisante du cinéma américain, par son efficacité, ses personnages déchirés et son côté sans concession. Dommage qu'un petit côté très (trop) frenchie en vienne à banaliser toute cette originalité, avec cette alternance ô combien déjà-vue entre scènes dramatiques et purs moments de comique, sans parler du final forcément mélo et donc légèrement mievreux. Cette recette stéréotypée du cinéma français glisse inévitablement le film vers la comédie dramatique un peu convenue.
"Polisse."
Ce que le film réussit par ailleurs, c'est ce tableau écoeurant d'un monde de retour à l'état sauvage ; toutes ces horreurs quotidiennes, ces nuits interminables et ces affaires dégueulasses, ces vies gâchées et ces consciences torturées, mais surtout, tous ces gosses ayant perdu leur innocence bien trop tôt. Et derrière ces abandons précoces de l'innocence, c'est l'image de gamins sans enfance qui transparaît. Et le combat désespéré que mène la BPM se situe là, à essayer de redonner un peu d'innocence à tous ces enfants traumatisés, et de faire en sorte qu'une simple faute d'orthographe (à l'image symbolique du titre) ne reste que le plus grand de leurs problèmes.
Cependant, plus le film avance, plus le propos paraît vide. Les personnages, constamment au bord de la crise de nerf, enchaînent affaires sur affaires, à chaque fois un peu plus glauque. Mais rien ne change réellement sur le fond, et on finit par se demander où veut en venir le film, quel est son objectif moral ou son message à faire passer, et seulement en a t-il un ? Car ce rythme effréné et sans aucun temps morts semble soudain cacher la vacuité du scénario, qui ne semble n'avoir rien d'autre à raconter que ce tableau social froid et rebutant.
Mais ça, c'était avant. Avant ces putains de vingt dernières minutes dépressives à souhait, où l'on ressent le véritable talent d'une réalisatrice en pleine élévation.
Soudain, Maïwenn se décide à oser (mais un peu trop tard) quelque chose de plus noir, de plus grand. Ses personnages, qui depuis le début semblait rester éternellement au bord de l'implosion, explosent et l'enchaînement d'affaires glauques qui jusqu'ici paraîssait sans influences s'avère finalement très conséquent. Et aussitôt, le propos s'éclaircit. Plus qu'un film-documentaire sur la brigade de protection des mineurs, le film développe une sorte de vérité universelle moralisatrice mais plutôt intéressante sur les conséquences du passé de toute une vie : toutes les choses dont nous sommes témoins, bien qu'elles paraissent anodines, nous atteignent et ne sont pas sans influences, et finissent un jour par nous rattraper. A trop cotoyer l'inhumain, on finit par se déshumaniser.
C'est sur cette conclusion pessimiste que s'achève Polisse. Un film bancal rattrapé par un final poignant, malgré son montage entrecoupé super cliché. Mais globalement, Polisse reste un bon film qui captive du début à la fin, dont le casting et les dialogues en or n'y sont d'ailleurs pas pour rien. Son apparente vacuité étant rattrapée par les dernières minutes (dont la puissance l'emporte sur le côté un peu mièvre), le film laisse finalement une très bonne impression sur son passage. Car le film parvient à atteindre des sommets d'intensité dans le langage et la psychologie de ses personnages. Des sommets, oui. Mais un peu tard malheureusement.