Aujourd’hui le public se montre particulièrement demandeur d’œuvres inspirées de faits réels. Cette tendance lourde qui traverse aussi la littérature a pour corollaire immédiat de légitimer du coup leur existence et leur qualité, rendant impossible toute idée de critique. Dans la catégorie des faits dits réels, de la biographie à l’hagiographie, d’un événement historique à un drame collectif, vient se nicher la plus glauque et peut-être la plus exploitée : les faits divers. Les quotidiens régionaux et les journaux télévisés en sont remplis, mais l’overdose annoncée ne rassasie personne qui continue à se presser voir des films en charge d’authentifier davantage la réalité, si possible la plus noire et misérabiliste.
Avec Polisse, on est un peu gênés aux entournures : les intentions de la réalisatrice Maïwenn nous échappent quelque peu, flirtant avec la démagogie, voire une certaine malhonnêteté. On connait la genèse du film qui suit un long travail de préparation en immersion au sein d’une brigade de protection des mineurs (désignée ici sous l’acronyme BPM) de la part de la réalisatrice du Bal des actrices (2009). À suivre l’équipe dans son activité professionnelle et sa vie privée – la porosité entre les deux sphères constituant à la fois la problématique et la pierre d’achoppement du film – on voit bien en quoi la réalisatrice s’intéresse d’abord aux policiers, leur domaine de compétences n’étant réduit en somme qu’à une toile de fond. C’est bien dans cette indécision que Polisse suscite la gêne et toute une gamme de sentiments qui vont de l’irritation à l’admiration. Il est indéniable que le film réserve quelques belles scènes : la discussion nocturne autour de la présence de la photographe et donc le rapport à l’œil extérieur ; l’arrestation de la jeune mère toxicomane et le cas de la femme noire à bout de ressources venant confier son jeune fils à la Brigade (le climax du film, sans conteste). Étrangement, ces séquences sont directement liées à l’activité des policiers, rendant du coup d’autant plus accessoires, futiles et inutiles celles consacrées aux petits ennuis privés de l’équipe. Mais Polisse se présente comme une fiction – on est en conséquence loin d’une démarche à la Depardon – et nécessite dès lors une construction qui alterne pics émotionnels et moments de répits. Une construction dont les ficelles sont excessivement voyantes et épousent les codes en vigueur de la série télé made in USA. C’est pourquoi le film devient-il aussi prenant parce qu’il est avant tout malin et habile, jouant de la succession de scènes courtes comme autant de vignettes censées décrire le quotidien de la Brigade et mettre en situation les personnages avec l’ambition de nous les rendre d’abord familiers, et peut-être sympathiques pour certains.
La futée Maïwenn reprend par ailleurs le dispositif de son long-métrage précédent, à savoir se mettre elle-même en scène dans un rôle d’observatrice et de questionneuse, qui aurait le mérite d’éloigner tout soupçon. On peut raisonnablement douter du moindre calcul derrière le procédé, mais de la même manière on ne peut nier à la réalisatrice sa capacité à éviter tout manichéisme, toute stigmatisation de population – les abus contre les enfants dépassent les frontières sociales et ethniques. Polisse est aussi un formidable territoire de circulation de la parole qui refuse la simplification et expose a contrario la complexité de situations où s’imbriquent l’intérêt collectif et l’engagement personnel. Il est pareillement incontestable que le film déborde d’énergie et de force et bénéficie d’une direction exceptionnelle de l’ensemble des comédiens dont aucun n’a la prétention de tirer la couverture à lui, y compris Joey Starr que Maïwenn regarde pourtant avec une complaisance et une tendresse particulières.
C’est bel et bien la dynamique d’un groupe qui est ici à l’œuvre. Face à la difficulté de la tâche à accomplir, résumée en la confrontation permanente avec la misère sociale et le désespoir humain, il n’y a d’échappatoire qu’au travers de la solidarité et de l’entraide. Cela passe aussi par des moments de décompression, où le corps et l’esprit doivent finir par se relâcher. Mais dans cette pression permanente qui s’accompagne d’une promiscuité envahissante, les ego sont mis à rude épreuve et les liens les plus solides peuvent soudain révéler leur faiblesse, donnant naissance à la scène la plus ratée et artificielle du film à laquelle on ne croit guère.