Pusher 2 est dédié à Hubert Selby, Jr., (avec lequel Refn a bossé auparavant sur sa première tentative américain, Inside Job), patronage on ne peut plus limpide, et dans la lignée des glauques évolutions du premier volet. Tony, le personnage interprété par Mads Mikkelsen, fait le lien avec l’opus précédent, propulsé comme protagoniste d’un milieu qui va désormais mettre l’accent sur la famille. Alors que Frank était un électron (se croyant) libre, Tony sort de prison et doit composer avec d’encombrants liens : un père parrain local, une ex et un bébé qu’elle prétend de lui : fils et père, le loser ne sait plus où donner de la tête, d’autant qu’il n’a jamais su s’en sortir par lui-même.


L’esthétique de Pusher 2 est dans la continuité : directe et crade, sans filtre, elle visite les bas-fonds, avec une certaine prédilection pour la friche industrielle et le sexe tarifé, à l’image de notre héros face à deux prostituées n’obtenant pas de lui l’érection escomptée, ou le numéro de striptease un soir de mariage particulièrement déprimant. Les intérieurs violemment éclairés de rouge ou d’un blanc blafard semblent annoncer une obsession qui éclatera dans Only God Forgives, à la différence que l’esthétique ne prend pas ici le pas sur le fond. Comme il le faisait avec Frank, Refn ne lâche jamais son personnage, commençant par faire un état des lieux de la lose avant de l’humaniser progressivement sous la contrainte.


Les mêmes erreurs se répètent : la drogue n’est jamais un magot, mais un poison qui endette et dont ne se débarrasse jamais que pour le pire : dans un étang pour le premier volet, dans les toilettes ici. Mais le récit s’attache désormais à une toxicité bien plus retorse, celle des rapports humains. A la manière d’un Zola qui traquerait le déterminisme social et criminel, Refn met sur pied une famille monstrueuse, dans laquelle Tony est le poids mort, et tente, à renfort d’erreurs et de coups d’éclats mal gérés, de se faire une place.


Point de discours, mais une fuite en avant : comme toujours, les actes et la survie justifient les pires abominations, dans un monde où tout fonctionne par paire : le fils devenu père malgré lui, et doublement remplacé, par un nouvel enfant et un fils de substitution, bras droit mafieux dont on célèbre les noces. Dépossédé de tout, acculé au meurtre, Tony doit choisir de perpétuer l’autodestruction ou d’enrayer la machine. Cette vision d’une cellule familiale mortifère, tragique et excessive ne fait certes pas dans la subtilité, mais occasionne des séquences authentiques, fondées sur la durée (surtout pour la nuit du mariage), et dans laquelle Refn parvient à capter des moments de vérités qu’il n’aurait pas obtenus sans cette noirceur environnante : des regards, des silences, des mouvements brusques d’individus devenus des bêtes apeurées.


Drogue, adrénaline, paternité : c’est sur un suspens quasi identique au premier Pusher que s’achève le deuxième : un trajet silencieux, un bus dans la nuit, mais dans laquelle brille faiblement une lueur, celle d’un enfant qui pourrait peut-être fuir l’enfer.


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Sergent_Pepper
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le 31 mai 2016

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Sergent_Pepper

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