En allant voir Quelques heures de printemps, on sait qu'on n'y va pas pour rigoler. Puisque le film parle de la mort, et notamment du suicide assisté, on se dit qu'il s'agira pour nous d'une confrontation intime entre ce qu'il aura à nous dire et notre propre vision du sujet - quelle soit claire ou pas. C'est le cas, bien au-delà sans doute de ce qu'on pouvait imaginer.

Quelques heures de printemps est un film d'une rare précision. Solide dans son scénario, et d'un réalisme niché dans le moindre détail du moindre décor, il avance pas à pas, débusquant les instants de gêne, les silences, allant là où il doit aller, au bout de son idée, au bout de son histoire. La profonde honnêteté de Stéphane Brizé est de ne jamais nous prendre en traître. Lorsque l'émotion nous submerge, c'est net, ce n'est pas une entourloupe. Quelques heures de printemps est à 1000 lieues des putasseries qu'on pourrait nous infliger sur un tel sujet. Si le film est froid, il n'est pas contre ses personnages. Quasiment parfait dans son écriture (une séquence de trop sans doute, celle du parking de supermarché), Quelques heures de printemps s'impose par sa détermination. Sa force est sa justesse, et quand on lit dans Les cahiers du cinéma que "la promesse de printemps se borne à quelques miettes de tendresse lâchées dans un océan de misanthropie" on a juste envie de mettre une tarte à celui qui se prétend critique.

Yvette pourrait être notre voisine, notre tante, notre mère. Elle pourrait tout aussi bien être nous-même tant on se retrouve dans tout ce qu'elle est, son intérieur immuable, ses habitudes, sa modeste vie. Le film commence comme une version mère-fils du Chat sans que l'on sache vraiment si ces deux-là se sont jamais aimés (la chienne Calie jouant ici un personnage de lien et non d'opposition, et imposant les seuls moments "drôles" du film). Entre la rigidité de la mère et l'inaptitude du fils à vivre, le courant passe mal. Puis la maladie de la mère fait sa place et impose un rapprochement sans pour autant restaurer le dialogue.

L'air de rien, la mise en scène de Stéphane Brizé est là. On n'y prête d'abord pas attention. L'image est triste, les décors aussi. Beaucoup de scènes dans la(les) cuisine(s), presque rien en extérieur. Brizé nous installe dans les habitudes de ses personnages, celles d'Yvette et de son voisin, Monsieur Lalouette : des décennies de journées répétitives. Quand on demande à Yvette si elle a eu une belle vie, elle ne sait pas répondre. Elle sait en revanche que la décision qu'elle vient de prendre est sans doute la seule décision prise dans sa vie. Et elle concerne sa mort.

Hélène Vincent est juste formidable. Elle est cette femme à la vie monotone qui repasse son linge jusqu'au moment du départ, termine son puzzle, s'assure qu'elle a bien remis les clés de la maison à son fils, cette femme qui fait les choses "parce que c'est comme ça", qui prend enfin une décision et l'assume, qui s'efforce de paraître forte et s'effondre en pleurs repliée sur son lit. Face à elle, Vincent Lindon réussit encore à donner vie à un personnage tellement vu, celui du taiseux, infantile et violent dans ses accès de colère, puissant dans ses silences, réellement habité dans les dernières scènes. À leurs côtés, en voisin sensible, "brave homme" attentif aux autres, Olivier Perrier est parfait, de même que Ludovic Berthillot (découvert dans Le roi de l'évasion). Emmanuelle Seigner est également très crédible et très juste.

Dans son essence même, sa facture minimaliste, le sujet qu'il traite, Quelques heures de printemps se place en dehors du tout venant de la production cinématographique. Rares en effet sont les films que l'on vit de manière si intime.
pierreAfeu
8
Écrit par

Créée

le 29 sept. 2012

Critique lue 379 fois

4 j'aime

1 commentaire

pierreAfeu

Écrit par

Critique lue 379 fois

4
1

D'autres avis sur Quelques heures de printemps

Quelques heures de printemps
potaille
9

Quand l'hiver se substitue au printemps

Dans le nouveau film de Stéphane Brizé, réalisateur qui m’est relativement inconnu, un fait frappe après que quelques minutes se soient écoulées : les heures de printemps promises par le titre...

le 6 oct. 2012

21 j'aime

6

Quelques heures de printemps
eloch
10

" Nos amours se tirent une balle, et la cohabitation "

Je n'avais qu'une envie pendant ce film, serrer ma mère dans mes bras, pleurer très fort, m'enfouir la tête dans son parfum et lui dire que je l'aime. C'est stupide me direz-vous ce genre de réaction...

le 5 juin 2013

19 j'aime

17

Quelques heures de printemps
PatrickBraganti
7

Critique de Quelques heures de printemps par Patrick Braganti

Il ne faudrait pas se tromper de sujet à propos du dernier film de Stéphane Brizé : la question épineuse de la fin de vie n’en constitue qu’un tiers, et même s’il est logiquement riche en émotions,...

le 19 sept. 2012

18 j'aime

6

Du même critique

Nocturama
pierreAfeu
4

The bling ring

La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...

le 7 sept. 2016

51 j'aime

7

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

La Crème de la crème
pierreAfeu
1

La gerbe de la gerbe

Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...

le 14 avr. 2014

41 j'aime

21