J'adore ton film. Mais je vais te donner une raison complètement absurde pour ne pas signer tout de suite. Parce qu'un détail secondaire me préoccupe plus que l'ensemble du projet.


Dupieux l'a énoncé dans Rubber, ses films n'existent pour aucune raison. Et il a à la fois absolument raison et parfaitement tort.


Drive de Nicolas Winding Refn était l'histoire d'un mec dont on ne connait ni le nom, ni le passé, ni la destination. Pourtant on s'y est attaché, grâce, entre autres, à la belle gueule de Ryan Gosling et à la musique envoûtante de Kavinsky. Un film qui raconte une histoire banale, réalisé par un génie de l'esthétique. Un film qui dénonce de façon amèrement efficace le vide existentiel prédominant dans notre société, à travers ces illusions omniprésentes, tels que les médias, la politique, l'économie, la religion, l'art ou même l'amour...
Dupieux à travers Réalité a exactement le même objectif selon moi. Nous illusionner avec un film où rien ne sert à quoique ce soit. Il démarre on ne sait trop où et s'arrête on ne sait trop comment. Il y a une mécanique, une cohérence, une harmonie, mais la voie qu'il emprunte n'est jamais claire. C'est ce qu'il y a de si passionnant et de si déroutant avec ce cinéma. On ne sait jamais à quoi va servir l'élément qu'on est entrain de voir, on ne sait jamais quelle idée saugrenue va surgir dans 30 secondes, et 15 minutes après, on comprends qu'il y a un lien entre tous les éléments. Mais au final, l'ensemble ne sert à rien.
On se concentre sur des détails, ils sont au fondement de notre amour pour l'objet cinématographique sous nos yeux, mais on ressort vidé de la séance.
Ces télévisions qui nous abrutissent sont en fait le symbole d'une société qui s'infiltre partout, tel un exéma, mais de l'intérieur. On ne sait pas comment s'en défaire, et personne ne peut nous aider. C'est un mal qui nous ronge, et on voudrait s'en rendre compte. On voudrait le voir sous nos yeux et réaliser ce qui nous arrive. Réaliser comment se comporte notre environnement, rentrer dans un salle de cinéma et se dire "Ah ! Le mal est là, sous mes yeux, alors intervenons !" L'objectif ? Changer le cours des choses, éviter la catastrophe... Mais d'aucun savent que changer le monde fait parti du rêve, ou bien du futur... Peut-être que la réponse (c'est à dire le film) n'existe pas encore.
Quelqu'un veut filmer cet état de fait, quelqu'un veut enregistrer le gémissement du monde. Mais c'est précisément ce monde qui l'en empêche. Et peut-être qu'au final cet homme appartient à un rêve, un cauchemar, ou plus étonnant encore : un film, le film qu'il veut réaliser !
Ce n'est plus un serpent qui se mort la queue, c'est inexplicable, une sorte de sur-paradoxe. Un "Inception-Mulholland Drive-Buñuelien"... Le surréalisme mêlé à l'absurde, l'avant-gardiste mêlé à la comédie cynique. Réalité c'est un peu tout cela, et ça n'a aucun sens, si ce n'est de se contredire, d'être en lui-même le paradoxe qu'il expose. C'est un objet abjecte et surpuissant à la fois. Un film inutile et en même temps capital. Un film qui prouve qu'on peut tout faire au cinéma et que des milliers de projets sont à venir. Un film qui montre l'avenir en somme.
Et si je me trompais ? Si en réalité, le film était un coup de bluff, une arnaque totale ? À chacun d'en juger. Personnellement j'ai pris un pied total et me suis taper des fous rire à répétition.


Niveau réalisation, rien de particulier. L'histoire est suffisamment déroutante pour que Quentin ai besoin de faire comme l'autre (Tarantino) et d'en mettre plein les yeux. Leurs cinémas sont d'ailleurs exactement à l'opposé l'un de l'autre. Symétriques.
Chabat est parfait, la musique est enivrante et répétitive à souhait, les décors et la photographie sont tout ce qu'il y a de plus normal, mais l'écriture est si parfaite que tout ce bon monde reste captivant d'un bout à l'autre. 1h25 de pur bonheur.


À vrai dire ça me démange de le revoir.

PoloCineMusic42
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le 15 juin 2015

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