Je n'ai pas grand chose à reprocher aux Dardenne. Ils sont allés au bout de leur démarche quasi-documentaire, ont fait le film qu'ils souhaitaient, et Cannes les a adoubé après un passage déjà remarqué trois ans plus tôt à la Quinzaine avec La Promesse. Rosetta est jusqu'au-boutiste, plein de bonnes idées, d'intégrité, et a le mérite de remettre en questions les politiques d'insertion qui ont à peu près toutes échoué en Europe de l'Ouest.
Mais voilà, pour apprécier Rosetta, il faut être d'une humeur à toute épreuve. Profondément laide, sinistre, blafarde et repoussante, cette Palme d'Or est un chemin de croix autant pour son héroïne que pour le spectateur. Rosetta ne cherche jamais à embellir la réalité, il la livre crue, sans apprêts ni ambages. Au contraire, il tend même à sombrer parfois dans un misérabilisme étouffant, à tel point qu'on n'a même plus le coeur à esquisser le début d'un sourire quand l'ombre d'une éclaircie pointe le bout de son nez dans la vie de Rosetta.
Le film dépeint pourtant une réalité qui, n'en déplaise à certains, est le triste quotidien des enfants du capitalisme depuis une bonne quarantaine d'années, et pas seulement depuis 2007. Seulement voilà, malgré toutes ses qualités et malgré tout le respect que j'ai pour l'engagement des Dardenne dans ce film, Rosetta ne m'a que très peu ému ou emporté, ne m'a pas fait rêver, ne m'a rien appris, et n'a pas bouleversé mon système de valeurs. De mon petit point de vue, en bas de l'échelon social, je n'ai pu m'empêcher de ne voir en Rosetta que le prolongement sur grand écran d'une réalité que je côtoie toute la semaine, à défaut de la vivre dans ces proportions (loin de là heureusement).
Le film des Dardenne a eu un public et en aura toujours un, heureusement, mais il n'est juste pas fait pour moi. Il a le mérite d'exister - c'est déjà pas mal - et de rappeler à ceux qui ne se séparent jamais de leurs oeillères que le trou du cul du monde n'est jamais qu'à quelques pas, et que nous gravitons tous autour.
Quant à moi, j'en ressors avec une belle migraine et des carences en vitamine D.