Saraband, c’est une danse, une danse à deux. Un tutoiement s'instaure, le film dialogue avec nous - toi et moi, semble-t-il dire. Et ce n'est pas qu'une habile tournure : littéralement, Saraband tutoie. A la lumineuse Marianne de battre le tempo, à rebours, avant de nous conduire sur les pistes de la fiction, et de sa musique si particulière.
Duos ou duels, di-alogues ou di-sputes, tout tourne autours du deux, double unité, complémentaire ou antagoniste, avec ou contre. Toi et moi. Moi sans toi.
Ample mais économe dans ses mouvements, le film vous embarque avec une proximité déroutante et sèche, instaurant ce dialogue étrange, quand Marianne - ses yeux droits dans les nôtres - ouvre le film en me racontant – à moi, à toi – sa vie et celle de sa famille, qu’elle étale devant nous comme autant de clichés.
Le film est une commémoration du deux : quand le deux est passé, quand il n'est plus, qu'il n'est plus beau. Sans le deux, les êtres ne deviennent que des images mortes, des clichés éparpillés sur le plat d’une mémoire. C’est là que l’on existe, c'est là que l’on souffre aussi.
Voilà comment ce film me parle, et dans sa résonance avec des choses qui me sont intimes, il parvient au tutoiement absolu, au contact de ces points de mon histoire à moi : dans cette relation tumultueuse d'une musicienne avec son art et son professeur, dans le dérèglement des harmonies provoqué par le deuil, ou dans cet épilogue, peut-être le plus beau et le plus poignant de cette décennie, quand Marianne réussit, dans l’infini dérisoire de l’instant, à toucher un être éternellement coupé du monde. Tutoyer c'est caresser. Tutoyer c'est heurter.
Vision inquiète d’une humanité incapable de se construire à deux sans se blesser, sécheresse étouffante de la mise en scène, automne filmé comme les rides du monde, acteurs géniaux se jetant dans le cadre sans fard et sans mensonge, dialogues d’une violence inouïe, Bergman lègue au cinéma une œuvre d’une nudité touchante, fébrile, pleine d’angoisse.