juin 2010:

Du bel ouvrage, un petit chef-d'oeuvre dans le sens artisanal du terme. Comme un compagnon de France, Scorsese élabore un film objet dont le mérite se bâtit (essentiellement, mais pas uniquement), sur une architecture soigneuse, des procédés techniques maitrisés et une mise en scène millimétrée.

Le scénario d'abord, adapté d'un roman que je n'ai pas lu, me semble très bien écrit, traçant une belle route, bien droite, avec toute la visibilité nécessaire à un agréable voyage pour le spectateur. La plongée dans l'atmosphère opaque, poisseuse, brumeuse de l'île et de ses habitants est immédiate. La descente dans les enfers du héros principal a dû poser de nombreux problèmes, du moins je l'imagine. Or, ici, le rythme parvient à formidablement bien traiter les changements de lecture. Ces variations, archi casse-gueule, sont des défis aussi intellectuels qu'artistiques et difficile de nier le fait que Scorsese les a relevés et réussis avec une belle maestria.

La photographie de Robert Richardson est somptueuse. Le travail sur les couleurs excelle à souligner les couleurs vives, rouge sang, celles dévolues aux souvenirs ou au contraire les couleurs sombres qui n'appartiennent qu'à l'île, là les verts humides de la nature sauvage, inhospitalière, ici la noirceur des roches escarpées qui achève de donner des tons hostiles à l'environnement déjà agité par la tempête. Les effets spéciaux numériques appuient la mise en danger des héros en créant de la profondeur, des écarts, de la distance, une verticalité périlleuse, accentuant le suspense déjà solidement installé par l'intrigue ou bien proposant avec astuce des idées narratives nouvelles et intenses.
Esthétiquement le film est très plaisant à l'oeil. Les couleurs ne vivent pas seulement sur leurs signifiances, elles soulignent également les contrastes et enrobent les différentes étapes du récit de jolies parures. Je ne résiste pas à l'envie de résumer tout cela avec une expérience toute simple : "c'est beau". A l'appui de tout ce qui vient d'être décrit avec un talent incommensurable vient s'ajouter une excellente direction d'acteurs. Parmi ceux-ci Leonardo Di Caprio atteint des sommets. C'est un acteur dont j'ai du mal à apprécier les prestations. Disons que mes jugements sont très variables à son sujet. Il me semble l'avoir vu souvent sur-jouer ou plutôt jouer d'une manière qui manquait de distance. Bon, peu importe. Ici, il m'a épaté. J'ai l'impression qu'il se bonifie avec le temps. Un bon vin, allant à l'essentiel et sans effet de manche, de regards obliques, de tremblements, de gestes non mesurés. Et vu le rôle méchamment compliqué que Scorsese lui alloue dans ce film, il dégage une sérénité qui force toute mon admiration. Chapeau.

Alors certes, l'histoire qui nous est contée ne renverse pas les montagnes. On ne s'en relèvera pas la nuit. Mais dans le camp du divertissement, des thrillers, à l'instar d'un "Usual suspects" ou "LA confidential", ce "Shutter Island" figure parmi les oeuvres majeures, des plus efficaces, des plus originales, dans un trio de tête certainement même. Du grand spectacle, haletant, angoissant et pour finir plutôt émouvant.
Alligator
9
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le 7 avr. 2013

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