un chef-d’œuvre et un film moyen pour le prix d'un

Aïe aïe aïe ! Il y a deux Sicario : un film politique et un thriller, un film politique choc et un banal film de genre, un film adulte et un film adolescent, un chef-d’œuvre et un film bof. Et, en fait, c’est à vous de choisir. Car les deux ne sont pas démêlables aisément.


Un film ado, on l’a déjà dit, c’est un film dont le scénario pourrait avoir été écrit par un adolescent pas très au courant des choses de la vie. A qui il manquerait la maturité pour s’embarrasser de réalisme, parce que les ados se foutent des contraintes de la vraie vie.


C’est-à-dire, dans ce cas précis, un film où il paraît logique d’aller à El Paso en jet de luxe, mais pas d’aller à Ciudad Juarez chercher un bandit ultra dangereux avec le même jet. Rappelons que Juarez est séparé par le seul Rio Bravo (et il y a un aéroport, j’ai vérifié). Ou il semble, au contraire, de prendre les innombrables hélicos filmés avec complaisance par Denis Villeneuve. Non c’est plus simple, plus discret, moins cher d’affréter un convoi de 4×4 noires et de blindés mexicains avec mitrailleuses.


Ou encore, un film où pour filer le véhicule d’un narco trafiquant – déjà suivi par satellite – on a absolument besoin de monter une opération secrète dans un tunnel qui permet de passer sous la frontière afin d’intercepter ensuite le véhicule du narco grâce à un flic mexicain qui fera semblant de l’arrêter afin de pouvoir le prendre en otage (le narco) qui lui-même nous mènera sans coup férir directement repaire du grand méchant.*


C’est là que le génie de Denis Villeneuve entre en scène. Car tout cela ne tient pas debout, mais est incroyablement cinématographique. Les hélicos, les blindés, les tunnels, sont sublimés par le talent de son chef opérateur Roger Deakins qui avait déjà signé Prisoners et à peu près toute la filmothèque de cœur du Professor**. Et c’est sans parler de l’incroyable musique de Jóhann Jóhannsson, déjà sur Prisoners également.


Le film de Denis Villeneuve grave ainsi, seconde après seconde, dans nos cerveaux affamés de tant de beauté, des images inoubliables qui vont revenir nous hanter très longtemps. Les mesas désertiques et mortifères de l’Arizona, le Mur de la frontière, les rues de Ciudad Juarez, tout cela est très fort, inédit, inouï, inoubliable.


Le cerveau du cinéphile, schizophrène, oscille donc entre ses deux hémisphères : dois-je me laisser porter par la poésie du spectacle pour le cerveau gauche, ou analyser une par une les énormes failles du scénario avec mon cerveau droit ?


Une fois de plus, il ne suffit pas de sortir le joker « film de genre » pour sauver le film de cette critique. Villeneuve fait un film ambitieux, il a au moins pour ambition d’élever le genre à des hauteurs insoupçonnées. Il ne fait pas Bad Boys, il veut faire Traffic. C’est à cette hauteur qu’il sera donc jugé. Au niveau Soderbergh, en ligue 1. Si c’était Tony Scott, on ne serait pas en train d’ergoter : on mangerait du cinéma pop-corn et ça serait assumé dès le départ.


Mais ce n’est pas le cas, Sicario se prend au sérieux. Il se doit donc de l’être. A tous points de vue.



  • relisez lentement et envoyez le aux scénaristes du prochain James Bond, ça peut servir !


** quasiment tous les Coen, The Big Lebowski, O’ Brother, Fargo, mais aussi La Dernière Marche, Les Evadés, Passion Fish, Cœur de tonnerre, Sid & Nancy, 1984 ou … Skyfall


cinefast

ludovico
6
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le 4 janv. 2016

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ludovico

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